Recruté comme précepteur de Louis de Bourbon, petit-fils du Grand Condé, il resta comme bibliothécaire à Chantilly après le mariage de son élève, aussi ignare qu’insupportable, dont il stigmatisa la morgue aristocratique dans son chapitre « Des Grands ». Grâce à son titre de gentilhomme de la maison de monsieur le Duc, une pension et des logements à Chantilly, Paris et Versailles, il bénéficia d’un point de vue privilégié sur cette société qu’il peignit dans son chapitre « De la Cour ».
De part ses lointaines origines paysannes, qu’il retrouvait par des séjours dans la propriété familiale, conjuguées à ses racines bourgeoises parentales et à son expérience sociale multiple, son observation de moraliste était d’autant plus lucide que ses maigres responsabilités lui conféraient la distance nécessaire.
En 1687, non signé, présenté comme une simple imitation suivant une traduction d’un auteur antique faisant autorité, l’ouvrage : Les Caractères de Théophraste traduits du grec, avec les caractères ou les mœurs de ce siècle, était mis en vente. Ce fut un succès foudroyant qui s’expliquait autant par la qualité de l’œuvre, l’originalité surprenante de sa structure et son style brillant, que par la vérité d’une peinture des mœurs contemporaines qui reflétait des maux sociaux et culturels éternels, et croquait sur le vif les vices à la mode. Les identifications à de personnalités et des analogies à des anecdotes connues participèrent à ce succès.
En perpétuelle évolution, Les Caractères ne connurent pas moins de neuf éditions retravaillées et complétées de son vivant.
Partisan des Anciens, ce qui lui valut plus d’une virulente polémique avec les Modernes, à plusieurs reprises il fut battu par l'un de ces derniers à son élection à l’Académie française qu’il n’ intégra qu’en 1693 avec un discours de réception qui, contenant sous forme de portraits ou de caractères l'éloge et la critique de quelques académiciens vivants, déplut fort à l'Académie qui décida qu'un nouvel article serait ajouté aux Statuts, obligeant le récipiendaire à soumettre son discours à une commission d'académiciens, avant de le prononcer.
La Bruyère mourut, d'une attaque d’apoplexie à Versailles, comme il vécut, en homme discret soucieux de ne pas faire de bruit aux modestes moyens financiers. Devant une disparition si brutale, quelques soupçons d’empoisonnement circulèrent qui restèrent infondés.
La postérité n’a gardé de lui qu’une image floue d’un vieux garçon timide resté aux marge du pouvoir et de la gloire dont on connaît peu de choses de la vie. Fidèle au christianisme et au classicisme, il resta aussi fidèle à son projet humaniste : celui de corriger les mœurs pour faire progresser l’homme. L’homme d’un seul livre, certes, mais l’homme d’un chef-d’œuvre.
Depuis le Moyen Age, le village de Versailles possédait une église paroissiale dédiée à Saint-Julien de Brioude. Détruite, entre 1678 et 1682, pour permettre l'extension des annexes du château, une nouvelle église fut construite, sous le même patronage, dans un autre quartier, entre la rue Neuve et celle de la Paroisse. Il s’agissait d’une construction modeste, à caractère provisoire, bientôt dénommée la « vieille église » en attendant l'achèvement de l'église Notre-Dame, plus digne de la nouvelle paroisse royale, et dont elle était séparée par un passage.
Utilisée aux réunions des Amis de la Constitution, en 1791, elle fut mise en vente comme bien national et détruite par ses acquéreurs en 1797.
C’est dans cette église que Jean de la Bruyère fut inhumé le 12 mai dans une modeste tombe.Quid de ses restes lors de la démolition de l'église ? Y étaient-ils encore ? Dans l’affirmative, furent-ils transférés au cimetière Notre-Dame ou laissés sur place, définitivement ensevelis dans les fondations d’un bâtiment, autre ? Je n’ai, hélas, aucune réponse à cette question.