Deux après son accession au trône, elle épousa son cousin, le « bel Albert » de Saxe-Cobourg-Gotha dont elle était éperdument amoureuse. Union heureuse qui vit la naissance de neuf enfants et se fixer la personnalité de la reine : en freinant difficilement son tempérament autoritaire elle s’efforça d’être neutre entre les partis, et eut la conscience aigüe de sa fonction. Son goût de la simplicité, son austérité et la dignité de sa vie permirent aux classes moyennes de reconnaître en elle leurs idéaux. Veuve inconsolable à la disparition brutale d’Albert (1861), due à la typhoïde, elle se réfugia dans une semi-réclusion morbide dont la sortit son Premier ministre Disraeli, en la faisant impératrice des Indes (1876).
Pendant ce temps, l’Angleterre et l’Empire britannique affichaient une insolente réussite industrielle, une prospérité sans précédent qualifiée de « prospérité victorienne » dont les principaux bénéficiaires furent les représentants de la bourgeoisie d’affaires. Le pays pouvait se vanter d’une démographie galopante, et Londres, « Babylone moderne » alors sans rivale, fascinait par son extraordinaire développement.
Mais cet âge d'or de la révolution industrielle et du bouleversement de la société avait un revers de médaille : face à la bourgeoisie conquérante, le prolétariat avec son cortège de misère et de souffrance formé par la précarité, le chômage et les déclassés du monde moderne. La contestation sociale et la lutte pour les droits de la femme marquèrent profondément cette Angleterre socialement divisée dont il ne restait aux défavorisés que la révolte ou l’espoir démocratique.
Elle accepta le pouvoir grandissant de la chambre des Communes et l'élargissement de l'électorat en 1867 et 1884
Quant au fameux puritanisme outrancier dans sa rigidité, qui fit la réputation de la morale victorienne, il faut davantage le chercher dans la bourgeoisie, qui liait progrès et vertu en dénonçant les vices et en exaltant l’effort et le lien familial, que dans la volonté de Victoria bien qu'elle-même protestante et puritaine.
Le goût de gouverner revenu, forte d’un pouvoir sans pareil et soucieuse de faire jouer à son pays un rôle de premier sur la scène internationale, elle s’immisça dans le jeu diplomatique en tentant de préserver les équilibres sans toutefois perdre de vue les intérêts britanniques.
Courageuse, sentimentale -ce qui pouvait la rendre influençable-, sensible aux gloires nationales, elle sut s’identifier à son peuple et à son époque. Jamais la monarchie ne fut aussi populaire. Nonobstant les difficultés, on lui était gré d’avoir maintenu le prestige de la Couronne, d’avoir été une épouse modèle même si son long veuvage se dissipa dans une relation affectueuse avec un serviteur écossais, John Brown…On ne lui tenait pas rigueur des inconduites notoires de son fils « Berthie » prince de Galles, et de son petit-fils, Albert-Victor, que la rumeur soupçonna un temps d’être Jack l’Eventreur.
Au faîte de sa gloire, respectée de tous, dans les dernières années de son règne, et sans rien abdiquer de son autorité,
la « Grand-mère » de l’Europe contemplait un monde de plus en plus déchiré.
Quant elle mourut à Osborne, sur l’île de Wight, s’achevait le plus long règne de la monarchie anglaise jusqu’à ce jour : presque soixante-quatre ans. Avec elle, tout un monde disparaissait.
Un deuil sincère et profond frappa le royaume. Mais au palais, c’était la catastrophe : sa longévité faisait qu’on ne savait plus comment organiser des funérailles royales ! On se référa alors à ses dernières volontés. Du fait de son statut de chef de l'armée et de fille de soldat, elle avait demandé des funérailles militaires, ce qui impliquait la mise en place du cercueil sur une prolonge d’artillerie. Elle, qui depuis des décennies, portait du noir, souhaitait être vêtue d’une robe blanche et de son voile de mariée. Dans le cercueil, on plaça des souvenirs rappelant sa famille élargie, ses amis et ses domestiques. Un des peignoirs d'Albert fut posé à son côté avec un moulage en plâtre de sa main ; une mèche de cheveux et une photo de John Brown furent mises dans sa main gauche qu’on dissimula à la famille par un bouquet de fleurs.
Après dix jours d’exposition publique dans une chapelle ardente à Osborne House, son cercueil, drapé de blanc et or, acheminé par bateau puis par train spécial, arriva à Londres le 1er février. Dans un silence respectueux, le convoi funéraire traversa la ville, parée de pourpre et de blanc comme elle l’avait souhaité, pour rejoindre la gare de Paddington et, par rail, Windsor où une nouvelle exposition eut lieu dans la chapelle de l’Albert Memorial.