Sous la pression de l’époque, Gerstein rallia le mouvement nazi en 1933. Mais, il comprit très vite que le dogme du National-Socialisme allait à l’encontre de ses profondes croyances chrétiennes et se lança dans des activités anti-nazies qui lui valurent la prison et l’exclusion du parti en 1936.
Bien qu’ayant déjà beaucoup souffert des conséquences de son exclusion, les nazis l’expédièrent deux ans plus tard dans le camp d’internement de Welzheim où il resta plusieurs mois avant d’être libéré en 1939. Peine perdue pour le régime qui n’avait pas compris la profondeur des sentiments anti-nazis du personnage.
En 1940, il réussit à se faire engager comme lieutenant dans les SS avec l'intention d'en dévoiler les agissements coupables. Au début de 1941, un événement le poussa encore davantage à devenir « l’espion de Dieu » : sa nièce, Bertha, jeune handicapée qui était placée dans une institution spécialisée, venait d’être sacrifiée au nom de l’eugénisme.
Choqué par cette mort, Kurt décida d’infiltrer l’œil du cyclone. Il rejoignit la Waffen SS et travailla dans une section médicale chargée de l’hygiène où il inventa un filtre à eau qui remporta un vif succès.
Cependant, il restait toujours exclu du parti nazi. La reconnaissance de ses supérieurs, due à l’extrême qualité de son travail, l’autorisa non seulement à conserver son poste mais à grimper dans la hiérarchie de la confiance. Parfait pour Kurt qui essayait toujours de saboter le régime.
C’est ainsi qu’il fut nommé à la tête du département technique de la désinfection de la Waffen SS où il travailla sur plusieurs gaz toxiques dont le sinistre Zyklon B. C’était en 1942 et Kurt Gerstein s’apprêtait à pénétrer dans un enfer qu’aucun esprit humain, même le plus démoniaque, n’avait encore entrevu.
Le 19 août, Kurt était le témoin « privilégié » et atterré de l’emploi réel du Zyklon B qu’il était chargé de fournir pour lutter soi-disant contre le typhus. On lui fit faire la tournée des grands ducs de l’horreur : Majdanek, Belzec et Treblinka.
De ce jour il ne cessa de tout mettre en œuvre pour saper l’approvisionnement du gaz et pour prévenir le monde. Il va hurler « les vérités qu’il connaît, les choses effroyables qu’il a vues ». Mais malgré la bonne volonté de certains de ses interlocuteurs tels le Nonce du pape à Berlin ou Göran von Ötter, diplomate suédois, ses hurlements ne « rencontreront que les silences pesants de ceux qui, informés se taisent et de ceux qui ne le sont pas et qui n’ont pas envie de l’être ».
Ses révélations arrivèrent jusqu’aux « résistants de Pologne qui avertirent leurs chefs en exil à Londres. Elles permirent d'étayer informations qui circulaient déjà en Occident sur les camps de la mort. Des journaux et des responsables en firent état. Mais nul n'osait trop y croire et tout cela ne servit à rien ou presque ».
Le 22 avril 1945, Kurt Gerstein se rendit aux troupes françaises. D’abord gardé dans une « captivité honorable » à Reutlingen puis à Rottweill, Kurt entama la rédaction de son rapport. Il était confiant et optimiste. Puis ce fut Constance et enfin Paris où il fut incarcéré dans la prison militaire du Cherche-Midi (54, bd Raspail) sans avoir un traitement différent des autres prisonniers de guerre.
Malgré ses pénibles conditions d’incarcération, Kurt s’acharna à la rédaction détaillée de son témoignage. Mais comment croire aux énormités qu’il décrivait. Si c’était la vérité, pourquoi avait-il continué à servir la SS ? Ne comprenant pas ses motivations, ignorant tout de son combat de l’intérieur, les Français l’inculpèrent de « crimes de guerre, assassinat et complicité… »
Peut-on imaginer l’anéantissement de Kurt Gerstein quand il prit connaissance de sa condamnation ? Quoiqu’il en soit, le 25 juillet on le retrouva pendu dans sa cellule avec un morceau de sa couverture. Suicide ou meurtre perpétré par des prisonniers allemands ? Le mystère demeure, même si, peut-être à cause des accusations qui furent portées contre lui, de la profonde détresse dans laquelle il fut plongé par l'échec de sa tentative de retarder la mise en oeuvre de la "Solution finale" ou de la peur d'être condamné pour son rôle au sein des SS, le thèse du suicide reste la plus probable.
En 1950, une cour asséna un dernier coup à sa mémoire. Elle le condamna de nouveau à titre posthume pour ne pas avoir épuisé toutes les possibilités de résister que lui offrait son commandement et pour ne pas s’être tenu à distance des opérations !
Toutefois pleine de mansuétude, la cour ne le classa pas parmi les principaux criminels de guerre et le désigna comme appartenant aux « entachés » !
Quinze ans plus tard, le 20 janvier 1965, Kurt Gerstein était enfin innocenté et rentrait timidement dans le Panthéon des résistants allemands au nazisme.
Son corps fut remis le lendemain de sa mort au Commissaire de Police du quartier de Notre-Dame-des-Champs pour transport à l’Institut Médico-Légal aux fins d’autopsieI. Ouis, il fut inhumé le 3 août dans le cimetière parisien de Thiais sous le nom de « Gastein ». Cela devait être une sépulture provisoire. En 1956, la section du cimetière où il était enterré fut vidée et sa sépulture disparut.