Maniaque du renseignement, de l'archive, de la fiche, du recoupement, il combattait les ennemis du régime autant qu'il les dépouillait. Policiers de la Révolution nationale, Touvier et ses hommes en étaient aussi les voyous. Ils confisquaient les appartements juifs, volaient les biens des prisonniers et des martyrisés, prospéraient à l'ombre des drames.
En fuite à partir de 1945, condamné à mort par contumace en septembre 1946 à Lyon, peine confirmée en mars 1947 à Chambéry, en juillet de la même année il fut arrêté à Paris sur dénonciation, et se fit à son tour délateur.
Expédié devant le peloton d'exécution à Lyon, il profita d'un défaut de surveillance pour s'évader dans des conditions suspectes laissant penser à des complicités. Commença alors sa seconde cavale qui, avec l’aide de milieux catholiques, et accompagné de sa femme et de ses deux enfants, le mena d’une cache à une autre pendant vingt-quatre ans.
Pour Touvier, une obsession : reprendre une vie normale avec sa famille dans sa maison de Chambéry. D’ailleurs, que lui reprochait-on ? Contraint par l’occupant, milicien de circonstance, il fut presque victime de la barbarie nazie... A force de trouver des oreilles attentives et des soutiens, et d’inspirer la pitié, Georges Pompidou se laissa convaincre de lui accorder la grâce présidentielle en 1971. La justice tira un trait sur ses condamnations annexes. Victoire de courte durée car elle provoqua un tel scandale qu’il dut se cacher, et déclencha un dépôt de plainte à Lyon, en 1973, pour «crimes contre l'humanité» qui, eux, sont imprescriptibles, ce que justifiaient l'assassinat des époux Basch* et la fusillade de sept juifs à Rilleux-la-Pape, exécutés en 1944 en représailles de l’assassinat de Philippe Henriot. *Philosophe, universitaire, intellectuel engagé investi dans la franc-maçonnerie, cofondateur et président de la Ligue des droits de l'homme, Victor Basch (1863 – 10 janv. 1944) était activement recherché par le gouvernement de Vichy. Repéré à Caluire-et-Cuire par la milice lyonnaise, il fut arrêté avec sa femme, Hélène, qui refusait de la quitter. Estimant le couple trop âgé pour être emprisonné, les miliciens décidèrent de l’abattre. Sur le corps de Victor Basch, sera retrouvé un écriteau laissé par les assassins sur lequel était inscrit :« Terreur contre terreur. Le juif paie toujours. Ce juif paye de sa vie l'assassinat d'un National. À bas De Gaulle-Giraud. Vive la France. » - Comité national anti-terroriste, région lyonnaise.
Néanmoins, il fallut attendre 1979 pour que débute l’instruction, et 1981 pour qu’un mandat d’arrêt soit déposé contre lui. Sous la protection indéfectible des Chevaliers de Notre-Dame -association internationale de fidèles laïcs catholique traditionnalistes- Touvier, passant d’un couvent à un autre, réussit à disparaître de nouveau dans une clandestinité bien organisée.
Devant l'insuccès de la police à le retrouver, la gendarmerie prit le relais de sa traque. Entre la mise sous écoute des principaux dirigeants des chevaliers de Notre-Dame -un peu déstabilisés par leur mise en cause dans un article du Canard enchaîné en 1984- et la piste de l’argent régulièrement versé à Touvier, ce dernier fut enfin arrêté le 24 mai 1989 au prieuré Saint-Joseph de Nice.
Paul Touvier n'était rien. Autrement dit, il était tout le monde et n'importe qui. C'est sans doute pourquoi son procès était impératif et se devait exemplaire. Mais, la définition de crime contre l’humanité pour un fonctionnaire français sous le régime Vichy l’exonérant de ses responsabilités, provoqua la gêne et de vifs débats avant et pendant son procès car, selon un arrêt de la cour de Cassation, si on pouvait poursuivre un Français qui avait commis un crime pour le compte de l’Allemagne, il était absous s'il n’avait fait qu’obéir à Vichy et, depuis vingt ans, l’accusation avait réuni des preuves que Touvier agissait sur ordre de Vichy. Or, Touvier, lui, se défendait en disant qu’il n’avait agi que sur la contrainte du chef de la Gestapo. Et ce fut bien ce mode de défense qui servit à le faire condamner à la réclusion criminelle à perpétuité le 20 avril 1994 par la cour d’Assises des Yvelines. Il fut le seul Français jamais condamné au titre de « complicité pour crimes contre l’humanité ».
Enfermé à la prison de Fresnes, il y mourut deux ans plus tard d’un cancer de la prostate, sans jamais avoir exprimé le moindre regret sincère, bien au contraire. Son journal, trouvé dans une malle laissée derrière lui à l’abbaye de Saint-Michel-en-Brenne lors de sa fuite précipitée vers Nice, et qui servit de pièce à charge lors de son procès, prouvait qu’il était toujours dans le même état d’esprit…
Selon une anecdote qui m’a été racontée par un membre de l’administration pénitentiaire témoin de la scène, Touvier, agonisant, fut transporté à l’hôpital de la prison où l’un des médecins, parlant de la robuste constitution de son patient, fit remarquer qu’il était résistant ; et un autre de lui répondre « Il était temps » !
Après des obsèques en l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, durant lesquelles le prêtre officiant exprima son soutien au défunt -« âme délicate, sensible et nuancée »- en fustigeant la Ve République, les médias, la partie civile, la LICRA, etc., Paul Touvier fut inhumé au cimetière de Fresnes. Sur sa tombe, souvent fleurie, son nom et ses dates.