Au fil du temps, le personnel de la préfecture et le quartier du Trech, où elle habitait, se virent inonder de courriers anonymes révélant les coucheries, les rivalités, les mesquineries, les rancunes et les rancœurs tullistes. L’auteur de ces brûlots détruisait les réputations, brocardait les petits chefs et salissait les ménages en apparence immaculés. Bientôt, ces lettres composées en lettres bâtons, d’une écriture qui comblait les vides dans tous les sens de la feuille, ne se contentèrent plus d’apparaître dans les boîtes, elles se mirent à orner l’entrée des immeubles, la cave d’un restaurant, le tronc de la cathédrale, etc.
Le caractère pornographique le disputait aux injures fleuries. On imagine aisément l’angoisse et la panique qui régnaient. Dans les rues, les honnêtes gens ne croisaient plus que « La salope », « Le Cornard », « La trouée », « Le Sardanapale qui battait sa femme et sa fille à coup de cravache », « la vieille croque » et « l’embusqué. » Il faut dire que depuis la grande guerre, les déserteurs, les planqués et les cocus étaient partout. Et le Corbeau disait tout, du faux, mais aussi du vrai…
Comme d’autres, Louise Laval, la mère d’Angèle, ne fut pas épargnée par le dénonciateur-calomniateur qui se dota, en 1921, du surnom d’« Œil de Tigre ». Il alla jusqu'à afficher sur la porte du théâtre de Tulle une liste de quatorze noms avec, en regard, les noms de leurs maîtresses et amants ! Mais porter plainte n'était pas évident. Mieux valait privilégier la discrétion, éviter des vagues supplémantaires.
Et puis, il y eut la première victime de cet oiseau de malheur, un greffier préfectoral qui préféra le suicide au scandale après une dénonciation. Avec un mort, la machine judiciaire pouvait se mettre en marche. L’instruction fut confiée à un premier juge dont les résultats navrants le firent remplacer par un second, le juge Malrieu, qui se révéla plus professionnel.
Il missionna un graphologue dont les conclusions furent confirmées par un curé de Tulle qui avait vu une de ces lettres ordurières posée, inachevée, sur le bureau personnel de l'une de ses paroissiennes, Angèle Laval.
Convoquée à la police, elle nia tout malgré les preuves. Par la suite, elle donna des explications: une vie terne dont l'unique espoir d’en sortir s’était brisé net avec le mariage Jean-Baptiste Moury, et son désir de se venger de tous.
Laissée en liberté, elle se réfugia chez sa mère, laquelle, affolée à l'idée de l'humiliation qui allait s'abattre sur elle et sa fille, exigea de cette dernière qu’elle se suicidât. Toutes deux allèrent se jeter dans un étang. Seconde victime de l’affaire, Louise mourut noyée. Mais Angèle, sauvée par des pêcheurs, survécut et affronta seule son procès qui démarra en 1922.
Pendant les audiences, elle était vêtue de noir, noir comme un… corbeau. C’est ainsi que les journalistes, venus en masse couvrir cette affaire devenue nationale, la baptisèrent, et que le nom resta pour la postérité.
Condamnée à un mois de prison avec sursis et à 200 francs d'amende, ce verdict indulgent tenait compte de l’instabilité et du désespoir de la coupable, déesse vengeresse de pacotille, qui n’avait jamais envisagé les conséquences dramatiques de ces actes.
Angèle Laval passa quelque temps en hôpital psychiatrique avant de terminer sa vie recluse dans sa maison de Tulle.
A sa mort, elle fut inhumée dans la tombe familiale du cimetière du Puy-Saint-Clair, qui surplombe le quartier dont elle empoisonna l’existence, dominé par la vieille église des Templiers.
Cette affaire de folie sur fond de dépit amoureux, de frustration et de misère humaine en inspira plus d'un. Parmi eux, Jean Cocteau avec sa pièce de théâtre La machine à écrire (1941), ou Henri-Georges Clouzot avec son film Le Corbeau (1943).