Née à Breteuil (Oise), fille d’un cordonnier et issue d’une nombreuse fratrie, elle vint à Paris. Engagée comme femme de chambre chez la mère du comédien Beaulieu (1751-1806), elle resta sans travail à la mort de celle-ci. En 1792, à la suite des Massacres de Septembre, grâce à Beaulieu, elle trouva un emploi chez le couple Richard, concierge à la Conciergerie. Elle y resta jusqu’en 1796. Ainsi, par un incroyable détour de l’Histoire, allait-elle devenir la dernière servante de Marie-Antoinette. Elle était là quand elle arriva le 2 août 1793. Elle était aussi près d’elle le 16 octobre. Soixante-seize jours qui lui permirent de côtoyer la reine déchue dans sa captivité et son intimité, et d’être le témoin privilégié d’une grande page de notre saga historique. Pourtant, ce témoignage inestimable, qu’elle apporta bien plus tard, resta longtemps ignoré. De sensibilité royaliste, elle fit tout ce qui était humainement possible pour atténuer la rigueur de kla détention de la reine. Elle alla jusqu’à découper ses proches chemises pour en faire des serviettes hygiéniques pour la reine de France !
Extraits de ses souvenirs :
« Le premier d'août 1793, dans l'après-dîner, Madame Richard me dit à voix basse : « Rosalie, cette « nuit, nous ne nous coucherons pas ; vous dormirez « sur une chaise ; la Reine va être transférée du Temple dans cette prison-ci. » […] On apporta ce petit mobilier (un lit de sangles, deux matelas, un traversin , une couverture légère et une cuvette de propreté) dans la chambre humide [...]. On y ajouta une table commune et deux chaises de la prison. Tel fut l'ameublement destiné à recevoir la Reine de France.
Vers les trois heures du matin, j'étais assoupie dans un fauteuil; Madame Richard, me tirant par le bras, me réveilla précipitamment, et me dit ces paroles : « Rosalie, allons, allons ; prenez ce flambeau ; les voici « qui arrivent. »
Je descendis en tremblant, et j'accompagnai Madame Richard dans le cachot de M. de Custines (qui avait été déplacé) situé à l'extrémité du long corridor noir. La Reine y était déjà rendue. […] Il faisait chaud. Je remarquai les gouttes de sueur qui découlaient sur le visage de la Princesse. Elle s'essuya deux ou trois fois avec son mouchoir. Ses yeux contemplèrent avec étonnement l'horrible nudité de cette chambre ; ils se portèrent aussi avec un peu d'attention sur la concierge et sur moi. […] Je m'approchai, respectueusement, et j'offris mes soins à la Reine. Je vous remercie, ma fille, me répondit-elle, sans aucune humeur ni fierté ; depuis que je n'ai plus personne, je me sers moi-même.
Enfin, arriva l'affreuse journée du 15 octobre. Elle monta dès les huit heures du matin à la salle des Audiences, pour y subir son jugement […] Dans la matinée, j'entendis quelques personnes qui s'entretenaient de l'audience. Elles disaient : Marie-Antoinette s'en retirera : elle a répondu comme un ange; on ne fera que la déporter.[…]
A quatre heures quelques minutes, du 16 octobre au matin, on vint nous avertir que la Reine de France était condamnée !!... Je sentis comme une épée qui aurait traversé mon cœur, et j'allai pleurer dans ma chambre, en étouffant mes cris et mes sanglots. Le concierge apprit cette condamnation avec peine; mais il était plus habitué que moi à toutes ces choses : il fit semblant de n'y prendre aucune part.
Vers les sept heures du matin, il me commanda de descendre chez la Reine, et de lui demander si elle avait besoin de quel qu’aliment. […] Les pleurs de la Reine redoublèrent, elle me dit : Rosalie, apportez-moi un bouillon. J'allai le chercher. Mais quelle fut ma consternation ! Le Gouvernement venait d'ordonner qu'on lui refusât toute espèce de nourriture !!!... J'avais eu lieu de me convaincre qu'elle perdait tout son sang ! ! !
Marie-Antoinette refusa les secours d’un prêtre constitutionnel.
«Lorsque le jour fut venu, […] je retournai chez Madame , pour lui aider à s'habiller, ainsi qu'elle me l'avait indiqué lorsqu'elle fondait en larmes, sur son lit. […] Elle déploya, elle-même, une chemise qu'on lui avait apportée […] et m'ayant fait signe de me tenir devant son lit pour ôter la vue de son corps au gendarme, elle se baissa dans la ruelle, et abattit sa robe, afin de changer de linge, pour la dernière fois.
L'officier de gendarmerie refusa de quitter des yeux Marie-Antoinette pendant qu’elle se changeait.
[…] La Reine soupira ; passa sa dernière chemise avec toutes les précautions et toute la modestie possible […] Pour aller à la mort, elle ne garda que le simple bonnet de linon : sans barbes, ni marques de deuil. Mais n'ayant qu'une seule chaussure, elle conserva ses bas noirs et ses souliers de prunelle, qu'elle n'avait point déformés, ni gâtés, depuis soixante-et-seize jours qu'elle était avec nous.
Je la quittai, sans oser lui faire des adieux, ni une seule révérence, de peur de la compromettre et de l'affliger. Je m'en allai pleurer dans mon cabinet, et prier Dieu pour elle.»
Tandis que celles et ceux qu’elle avait croisés à la Conciergerie avaient fini sur l’échafaud, Rosalie survécut. A la mort de Marie-Anne Richard (1796), elle alla exercer comme cuisinière chez la marquise de Créqui.
Elle était une vieille femme hospitalisée depuis plus d'une vingtaine d'années à l'Hospice des Incurables. Ce fut sa rencontre avec une infirmière du prénom Hélène qui lui permis d'offrir l'histoire de sa vie, et son précieux témoignage.
Décédée aux Incurables, elle fut inhumée dans une fosse commune au cimetière du Montparnasse le 5 février, sous le patronyme
de « Delamollière ». Sa tombe a disparu depuis bien des lustres.
Entre temps, sans être mariée, elle avait donné naissance à une fille, Marie Louise Delamollière, épouse Lacroix (1801/1802-1895) qui repose au cimetière du Père-Lachaise (3e division). Au dos de la stèle de sa sépulture, elle fit graver l'inscription suivante :
« A la mémoire de ma mère, Rosalie Delamolliere, dernière personne placée 76 jours auprès de la Reine Marie-Antoinette dans sa captivité, pour le besoin de tout son service, dont elle s'acquitta avec douceur et respect. Priez pour elle. »