C’était un être profondément sensible qui réagissait à une connaissance exclusivement rationnelle qui lui semblait incomplète : pour lui, le rôle de la tête était de faire sans cesse référence au cœur
Fasciné par le mysticisme, le spiritualisme, l’occultisme et l’astrologie, son œuvre est profondément enracinée dans la culture celtique, les mythes, les légendes, les contes de fées et les dieux de la tradition gaélique.
Ses poèmes, difficilement accessibles au non initié, sont caractérisés par l’usage constant de la symbolique des mots puisés dans les mythologies antiques : la rose évoque la beauté de l’Irlande, le noisetier, la sagesse, l’arbre de la connaissance, le cygne la beauté….
Comme beaucoup de poètes romantiques, les femmes furent l'une de ses principales sources d’inspiration, mais il s’intéressa aussi aux évènements historiques de son époque en soutenant vivement la cause de l’indépendance irlandaise.
Prix Nobel de littérature en 1923, le comité qualifia d'ailleurs son œuvre de « poésie toujours inspirée, dont la forme hautement artistique exprime l'esprit d'une nation entière » dont la guerre civile prit fin la même année. L’œuvre passée et à venir de Yeats, ainsi que la culture irlandaise allaient bénéficier de cette célébrité.
Contemporain d’Oscar Wilde, il oscilla longtemps entre le Londres décadent de la fin du 19ème siècle et l'Irlande en pleine ébullition indépendantiste avant d’opter pour cette dernière.
Impliqué dans la politique de son pays depuis des années, Yeats occupa une position presque unique dans la vie irlandaise : il fut virtuellement le premier homme depuis Swift à unir la tradition anglo-irlandaise et un nationalisme convaincu. Il fut aussi sénateur de l'État libre d'Irlande (Seanad Éireann) pendant deux mandats, en 1922 et 1925.
Après la Première Guerre mondiale, il se mit à douter de l’efficacité des gouvernements démocratiques et songea à une reconstruction européenne régit par des règles plus totalitaires. La crise de 1929 et la grande dépression renforcèrent son scepticisme le faisant regarder Mussolini avec admiration.
Yeats sentait ses forces décliner et s’insurgeait contre la vieillesse. En 1934, un ami lui parla d’une opération visant à accroitre la longévité et la puissance sexuelle : deux semaines plus tard, témoignant de sa volonté de vivre et de toute l’énergie qu’il possèdait encore, il se faisait opérer.
Un sursaut de vitalité, dû ou non à cette intervention, caractérise les dernières années du poète dont l’activité créatrice ne ralentit pas.
En 1938, malgré la guerre qui menaçait, il partit sur la Côte-d’Azur. Ce fut son adieu à l’Irlande. Coïncidence ou pressentiment, il écrivit une sorte de testament avant son départ Convictions , plus tard intitulé Under Ben Bulben.
Yeats décéda à Menton. Il souhaitait être inhumé avec discrétion au cimetière de Roquebrune-Cap-Martin puis, lorsque les journaux l’auraient oublié, être transporté à Sligo. Pour cause de Seconde Guerre mondiale, sa dernière volonté ne fut respectée que le 18 septembre 1948. Ses restes furent alors transportés sur une corvette irlandaise et enterrés à Drumcliffe dans le comté de Sligo. Son épitaphe, sur sa tombe très sobre, est extraite de Under Ben Bulben
Cast a cold Eye
On Life, on Death.
Horseman, pass by!
Mais Yeats repose-t-il vraiment là ? Probablement, non.
La découverte d’une correspondance, entre diplomate et le ministère des Affaires étrangères, à l’époque, restée longtemps cachée a permis de confirmer ce que beaucoup savaient.
En 1946, ses restes furent jetés dans une fosse commune. Les proches du défunt, qui doutaient de l’identité du corps dans la tombe de Roquebrune, tentèrent de dissuader sa veuve de les rapatrier en Irlande. La diplomatie française, embarrassée par son insistance et chargée du rapatriement, demanda alors au médecin du coin de « reconstituer un squelette qui présente les caractéristiques
du défunt ».
Cette correspondance montrerait aussi que la famille de Yeats, qui a toujours réfuté le remplacement des restes, aurait bien donné son accord tacite pour cette opération entourée de la plus grande discrétion. Du coup, une autre question vient s’interposer. A qui appartiennent les ossements de Drumcliffe, sur lesquels le visiteur vient se recueillir ?
Reste son oeuvre. Le monde littéraire fut profondément touché par sa disparition. Tous ceux qui pratiquent et aiment la langue anglaise s’accordent à reconnaître en lui un poète aux images fulgurantes, un magicien du langage, créateur de vers et de strophes d’une densité et d’une musicalité inouïes. C’est à ce titre, plus que par ses positions idéologiques, qu’il a exercé sa plus grande influence, obligeant tous les poètes irlandais, nés entre 1900 et 1950, à se définir par rapport à son oeuvre.