Accompagnant son évêque en province, il fréquentait les comédiens de passage, participait aux divertissements des villes traversées. Finalement, la place n’était pas si mauvaise et que se serait-il passé s’il n’avait pas contracté, en 1638, la paralysie qui le rendit impotent ? Il abandonna l’état ecclésiastique. Scarron n’était plus qu’un pauvre corps, tordu et perclus, immobilisé dans un fauteuil, tel qu’il se dépeignait lui-même avec une féroce et ironique minutie.
Fort heureusement, il avait le meilleur caractère du monde et prit le parti de rire de lui-même et d’en amuser les autres. Il en vint à rire de tout et fit école. Malgré la douleur et les fortes doses d’opium pour la soulager, il fit de sa maladie un titre de gloire, et s’auto-nomma le « malade de la reine » qui lui versait une pension. Son esprit fit le reste. Bien reçu partout, il tint un salon où vint ce que la Cour et Paris comptaient de beaux esprits.
Dès ses premières œuvres, Scarron mit le burlesque à la mode. Bien que déjà connu, Scarron donna à ce genre ses lettres de noblesse avec, entre autres, Virgile travesti qui s’échelonna sur cinq ans (1648 – 1653), œuvre qui entraîna un véritable engouement des poètes. On lui doit des courts poèmes réunis dans le Recueil de quelques vers burlesques (1643) qu’il compléta. Cumulant les succès, égratignant au passage Mazarin dans le Typhon ou la Gigantomachie, que le cardinal apprécia peu, il se mêla de politique au moment de la Fronde en composant des libelles contre son ancien protecteur qui, cette fois, n’apprécia pas du tout.
Contraint de se retirer de la scène, il y revint en 1652, avec son chef-d’œuvre Dom Japhet d’Arménie qu’avait précédé, en 1651, la première partie d’un autre morceau d’anthologie: le Roman comique. La seconde partie fut publiée en 1657. En abordant un style nouveau, mieux que ses vers et ses pièces, cette œuvre lui assura de passer à la postérité.
Toujours en 1652, il épousait par charité une jeune fille sans fortune et presque sans famille, Françoise d’Aubigné, petite-fille du poète Agrippa d’Aubigné. Par contrat, il reconnut solennellement qu’elle lui apportait « deux grands yeux fort mutins, un très beau corsage, une paire de belle mains et beaucoup d’esprit ». En contrepartie, il pensait lui apporter l’immortalité par son nom. Il avait vu juste, en partie : Françoise devint célèbre mais sous le nom de Mme de Maintenon…
Si certains de ses écrits inspirèrent Molière, l’influence de Scarron sur le théâtre comique ne se limita pas à ces emprunts : la vivacité et le naturel de ses dialogues lui ouvrirent la voie.
Alors que la mode du burlesque commençait à passer, notre auteur vivait honoré de l’estime de tous et très entouré. C’est ainsi que Scarron mourut, au milieu des siens et de ses amis en larmes, non sans avoir fait preuve d’un ultime trait d’esprit : « Je ne vous ferai jamais autant pleurer que je ne vous vous ai fait rire ».
A cause de sa longue maladie, sa disparition passa presque inaperçue. Mort à son domicile de l'actuelle rue de Turenne, Paul Scarron fut inhumé dans les charniers ou dans le cimetière de sa paroisse, Saint-Gervais-Saint-Protais. L’état de ses finances ne permit qu'un enterrement d’une grande simplicité. Une légende voulut longtemps que sa tombe soit dans l'église où sa veuve lui aurait fait ériger un tombeau.
Il avait lui-même rédigé son épitaphe:
Celui qui cy maintenant dort
Fit plus de pitié que d’envie,
Et souffrit mille fois la mort
Avant que de perdre la vie.
Passant, ne fais ici de bruit
Garde bien que tu ne l’éveilles :
Car voici la première nuit
Que le pauvre Scarron sommeille.
Lors des profanations révolutionnaires, la Convention eut soin, après avoir récupéré le plomb des cercueils, de ré-enterrer dans le cimetière Saint-Gervais quelques personnages illustres parmi lesquels Paul Scarron. Allez savoir, peut-être s’y trouvent-ils encore…