Peu diplomate, hautain, mais très cultivé et d’une éloquence remarquable, ses sermons, marqués par sa liberté de penser et de ton, déplaçaient les foules mais faisaient aussi de nombreux mécontents lorsqu’il attaquait les privilèges des Carmes de la ville. Sa franchise ne plaisait pas.
D’une beauté certaine et gracieux dans ses manières, il faisait se pâmer les dames et avait séduit au point d’engrosser une jeune fille et de parler mariage à une autre. Son libertinage éhonté ne plaisait pas davantage.
Cette conduite suspecte pour un ecclésiastique lui valut une condamnation au jeûne tous les vendredis pendant trois mois et à une interdiction de cinq ans dans le diocèse et pour toujours à Loudun. C’était mal connaître Grandier qui, après avoir gagné en appel de cette décision, revint à Loudun, plus fier que jamais, une branche de laurier à la main (1631).
Peu après, il déclina le poste de confesseur de la communauté des Ursulines que lui proposait la mère supérieure qui porta alors son choix sur le chanoine Mignon, ennemi juré de Grandier et qui réprouvait sa haut et fort conduite. Pendant dix ans, le père Mignon et des notables de Loudun menèrent une cabale contre le prêtre, enchaînant les procédures judiciaires pour « mauvaise vie, impiété ».
L’arrogance et le libertinage qu’on lui reprochait étaient certes peu conformes à son sacerdoce, mais pas de quoi être mené au bûcher. Mais, un brin provocateur et peut-être trop sûr de lui, sa franchise au bout de la plume, il s’était officiellement opposé au célibat des prêtres, ce dont on se souviendra par la suite. De même, il s’opposa ouvertement à la volonté de Richelieu de détruire le château-fort de Loudun, petite « capitale » protestante où catholiques et huguenots cohabitaient avec des fortes tensions depuis des années. Enfin, dans le même temps, on l’accusait d’être l’auteur d’une satire, La Cordonnière de la Reine Mère, mettant à mal le cardinal.
Arrêté fin novembre 1633, les preuves de ses « crimes » apparaissant bien minces, on fut contraint de le libérer. Il fallait trouver autre chose. Et l’on trouva sans peine. Fort à propos, on se rappela les accusations de sorcellerie à son encontre dont il avait été acquitté par un tribunal ecclésiastique. La célèbre affaire des possédées de Loudun allait rentrer dans l’histoire.
En 1632, après que Loudun eut été victime d’une épidémie de peste, une véritable hystérie collective avait saisi les religieuses du couvent des Ursulines. La supérieure, Jeanne des Anges, qu’on suppose être tombée follement amoureuse de Grandier en l’apercevant de loin et d’avoir fantasmé sur la réputation sulfureuse du personnage, s’était mise à souffrir de convulsions, d'hallucinations, de catalepsie. Elle développa une grossesse nerveuse…Rapidement, d'autres sœurs se plaignirent des mêmes maux, et se dirent importunées par des spectres. La nuit, elles erraient dans le couvent, grimpant même sur les toits. En quinze jours, plus d'une vingtaine d'ursulines présentaient les mêmes « symptômes ». Non seulement, aucun des nombreux ne mit un terme à cette érotomanie en série, mais les exorcistes eux-mêmes, et des jeunes filles séculières, se virent contaminés ! A cette folie contagieuse sur fond d’obsessions érotiques qui ne pouvait que relever du diable, il fallait un coupable. Grandier avait le profil idéal pour être accusé de sorcellerie par les nonnes.
De de nouveau arrêté, mais dans l’impossibilité de faire appel au Parlement de Paris, torturé, bien que les religieuses n’aient pas réitéré leurs accusations, les preuves fabriquées contre lui -comme des pactes signés avec plusieurs démons- et divers témoignages, pendant sept mois Grandier fit face à son procès dont l’issue était écrite depuis longtemps.
Le 18 août 1634 au matin, il tenta encore vainement de se défendre. Mais déclaré « atteint des crimes de magie, maléfice et possession arrivée par son fait […] », il fut condamné au bûcher le jour même.
Porté jusqu’à la place de son supplice, livide, sommé d’embrasser un crucifix rougi au fer dont, évidemment, il s’éloigna, on ne lui adoucit pas son sort en l’étranglant préalablement. Couché sur le bûcher, sa robe enduite de souffre, Urbain Grandier disparut dans les flammes malgré la pluie qui tombait et le peuple qui tentait de la sauver. Pas de tombe pour le sorcier dont la mort n'eut aucun effet sur les symptômes des possédées. Ses cendres furent dispersées aux quatre vents.