En 1792, au milieu d’un grand concours de la population, les volontaires auxerrois du 1er bataillon s’apprêtaient à rejoindre l’armée du Nord. A ces hommes, qui partaient pour une longue guerre, il fallait une chanson de marche.
Guillaume, qui amusait le pays par ses facéties, ses travers, ses prétentions et son originalité, avait encouragé sa popularité goguenarde. Notamment, on se souvenait de son habileté à négocier et à réaliser sa maison dans l’austère cour du Prétoire, une espèce de loggia bourguignonne, bizarre et invraisemblable construction issue de son imagination qui avait déclenché toutes sortes de plaisanteries. L’ensemble du personnage et son zèle politique ayant fait le reste de sa réputation, il était devenu brocardable à souhait.
Le chevalier Chenu du Souchet, auxerrois et connu pour ses chansons spirituelles assaisonnées du sel d’une mordante satire, ne résista pas. Roussel le jacobin, le « Cadet » comme on continuait à l’appeler familièrement, était un trop beau sujet pour le rater.
En 1612, un sieur Bellone avait publié un recueil de chansons parmi lesquelles était épinglé Jean de Montmorency, seigneur de Nivelle, qui avait rejoint Charles le Téméraire contre Louis XI lors de la Ligue du Bien public (1454). Elle rappelait l’épisode où Jean de Nivelle, sommé de rentrer dans le giron royal et traité de chien par son père, avait préféré s’enfuir plutôt que de se soumettre. Sur le même air que Cadet Roussel :
Jean de Nivelle n’a qu’un chien,
Il en vaut trois, on le sait bien…
Mais il s’enfuit quand on l’appelle !...
Connaissez-vous Jean de Nivelle ?
Ah ! Ah ! Ah ! Oui vraiment,
Jean de Nivelle est bon enfant.
Se saisissant de cet air populaire à l’accent vif et déluré, Chenu du Souchet se contenta de le parodier avec un succès immédiat se sifflotant ou se beuglant.
Certes, cette chanson n’était pas guerrière mais elle avait de l’entrain et du rythme. Et les volontaires de l’adopter comme refrain de marche. Longtemps à l’égale de la Marseillaise, qui n’en était qu’à ses débuts, elle égaya la marche des troupes un peu partout. Toute l’armée du Nord la chanta, puis le peuple.
En 1793, le théâtre parisien s’en empara avec une pièce, Cadet Rousselle ou le Café des Aveugles, qui obtint un succès inouï.
Partie modestement d’Auxerre, Cadet Roussel avait conquis toute la France au point de rentrer dans notre répertoire et d'y rester un grand classique.
Et le vrai Cadet dans tout cela ? Cette gloire soudaine et inattendue décupla son zèle patriotique. Entré à la Société Populaire d’Auxerre, dont la mission était de réchauffer l’enthousiasme de la population et de veiller à la stricte application des grands principes, sa conduite ne fut pas sans reproche et lui valut une suspension provisoire de ses fonctions. Il se fit encore remarquer lors de l’organisation d’une délirante fête de la Raison, puis ce fut la chute de Robespierre. Fidèle à lui-même, Roussel tenta probablement de retourner sa veste, la chanson lui en prêtant trois, il avait donc le choix…ce qui ne lui épargna pas la prison, les accusations, les rancunes. Sa détention ne fut pas longue. Il demeura huissier du Tribunal civil et sombra dans l’anonymat avant qu'il ne soit de nouveau à l'honneur dans sa bonne ville d'Auxerre.
Veuf, en 1803, d’une femme de seize ans son aîné, trois mois plus tard, il convola avec une nièce de la défunte de vingt-trois ans sa cadette. Puis il mourut.
Le Cadet Roussel de Pierre Pinsseau, pourtant entièrement basé sur des documents d’archives, indique qu’il fut inhumé en la cathédrale Saint-Etienne. C’est impossible pour de multiples raisons : laïc sans jamais s’être impliquée dans la vie de la cathédrale, ce qui aurait pu en faire une exception parmi les membres du clergé, seuls autorisés ; de surcroît révolutionnaire ; mort sans les derniers sacrements, etc.
Cette rare erreur de l’auteur est due à une mauvaise interprétation manifeste de l’acte de décès et à un manque d’expertise sur le sujet. Enregistré sur la paroisse de la cathédrale Saint-Etienne, il en a simplement conclu qu’il y reposait.
Il fut inhumé dans l’ancien cimetière des Capucins, formé en 1793 sur le jardin du couvent des Capucins, et qui, agrandit par la suite, deviendra le cimetière Dunant. Une borne indique encore l'ancienne limite de ce cimetière où la tombe de l’inénarrable Cadet Roussel a disparu depuis longtemps.