Séduit par la verve réaliste de Boris Vian, pour résister aux années yéyés, il adopta bientôt un style singulier, décalé. Il enregistra son premier album en 1958 que la critique bouda comme les deux suivants. Bien qu’écrivant des textes, depuis inscrits au répertoire, pour de nombreux chanteurs : (Accordéon et La Javanaise/Juliette Gréco ; La Gadoue/Petula Clarke, Comment te dire Adieu/Françoise Hardy, etc.), la grande reconnaissance tardait à venir quand sa chanson Poupée de cire, poupée de son, interprétée par France Gall au grand prix de l’Eurovision de la chanson (1965), remporta la victoire et marqua un tournant dans sa carrière pour les années 70.
Poète lucide et moderne aux influences souvent littéraires, anglo-saxonnes et métissées (L’ami caouette, Couleur café), inspiré par les muses qui traversèrent sa vie, il signa des titres cultes tels Harley Davidson, Bonnie and Clyde, pour Brigitte Bardot et Je t'aime... moi non plus, même si celui-ci fut finalement interprété par Jane Birkin pour laquelle il écrivit d’autres immenses succès : Je suis venu te dire que je m'en vais, etc.
Réalisateur, il s’attaqua à des thèmes regardés alors comme tabous : l’homosexualité, l’inceste, l’exhibitionnisme.
Régulièrement objet de campagnes de presse, on se souviendra, entre autres, de celle concernant sa version reggae de La Marseillaise (Aux armes et cætera), qui choqua les conservateurs de tous poils, mais polémique dont il sortit la tête haute en réussissant le tour de force de ranger les parachutistes de son côté …
Fils d’émigrants russes et juifs, traumatisé par la fuite familiale de Paris, sa ville natale, durant l’Occupation, il conserva toujours un sentiment de rejet qu’accentua un physique ingrat dont il souffrait parce que moqué à ses débuts.
S’estimant souvent incompris, la « tête de chou » finit par se fabriquer une image de poète maudit qui le mena à se réfugier dans la vie des milieux noctambules et interlopes avec les abus que cela comporte et auxquels sa santé ne résista pas.
Exhibant sa décrépitude physique, ses multiples provocations des années 80 firent disparaître Gainsbourg au profit de Gainsbarre, suscitant à la fois dégoût, mais aussi admiration auprès de ceux qui voyaient en lui avant tout le génie et son immense délicatesse sous un comportement suicidaire en forme de défi.
Dans les dernières années de sa vie, cet hypersensible en perdition eut enfin l’occasion de montrer sa vraie nature en fissurant, publiquement à la télévision, sa carapace d’éternel provocateur. Il continua à se produire sur scène, à enregistrer.
Plusieurs fois récompensé durant sa carrière, la Victoire de la musique d’honneur lui fut décernée en 1990 pour l’ensemble de son œuvre et, à titre posthume, il reçut le César de la meilleure musique de film pour le film Élisa de Jean Becker (1995). Reconnu comme un artiste essentiel de la chanson, il laissait derrière lui une empreinte musicale indélébile, une référence.
Après avoir succombé à une énième crise cardiaque, Serge Gainsbourg fut inhumé dans la tombe de ses parents au cimetière du Montparnasse où sa sépulture est toujours l’une des plus visitées. Des tickets de métro à la place de cailloux ou pour rappeler son célèbre Poinçonneur des Lilas (1958) ?