Or, en 1730, l’abbé d’Olivet écrivit dans son Histoire de l’Académie française, que « La Fontaine avait été enterré à l’endroit même où Molière l’avait été vingt-deux ans avant ». De quel chapeau sortait-il cette information ?
Méprise fatale pour La Fontaine, car Molière n’a jamais été enterré au cimetière des Innocents mais dans celui de Saint-Joseph .
Malheureusement, cette erreur fut communément admise et reprise par la suite. Forte de cette fausse information, quand en 1792 la Révolution voulut rendre hommage au fabuliste en même temps qu’à Molière , Fleury, vicaire de Saint-Eustache, mandaté pour retrouver et faire exhumer le corps de La Fontaine, chercha dans le cimetière Saint-Joseph.
Comme Molière était supposé reposer au pied de croix centrale, on creusa à cet endroit et on trouva effectivement des ossements qu’on décréta être ceux de La Fontaine ; ossements, qui s’ils ne peuvent en aucun cas appartenir au poète, pourraient par contre, avec un peu de chance, être ceux de Molière .
Pour les lecteurs qui arriveraient sur cette page sans être passés par l’article sur Molière , reprenons :
Ces ossements furent mis en bière et déposés auprès de « Molière » dans la cave sépulcrale de la chapelle du cimetière.
La chapelle fut démolie pour être remplacée par un corps de garde où l’on entreposa les deux caisses sous une vigilance relâchée. Moyennant quoi, pour satisfaire la curiosité de quelques amateurs, les caisses furent ouvertes et victimes de quelques prélèvements. Et une relique de Molière par-ci et une relique de La Fontaine par-là !
De surcroît, plusieurs éléments concordent pour penser qu’à un moment les deux squelettes sortis de leurs caisses les ont réintégrer dans le désordre. Et La Fontaine de se retrouver dans la caisse étiquetée Molière et vice-versa !
1799. L’administration centrale du département de la Seine décidant « que le respect pour les grands hommes est une des vertus d’un peuple libre et éclairé et les honneurs qu’on leur rend après leur mort sont le plus sûr moyen d’exciter une noble émulation » arrêta d’exhumer tous les hommes célèbres reposant dans les églises, édifices nationaux ou cimetières. Le 7 mai 1799, Alexandre Lenoir prit possession des caisses " La Fontaine" et " Molière" qu’il installa dans son fameux musée des Monuments français. Les restes présumés des deux génies trouvaient enfin un peu de repos dans des sarcophages dignes d’eux.
1817. Depuis son ouverture en 1804, les défunts boudaient le Père-Lachaise. Alors, pour le rendre fréquentable, on eut l’idée d'un bon coup publicitaire en faisant venir quelques résidents de prestige. Ce projet arrangeait d’autant mieux son monde que le Musée des Monuments français était supprimé. C’est ainsi que le 6 mars, les cercueils présumés de La Fontaine et Molière, après avoir été conduits à l’église Saint-Germain-des-Prés où fut célébrée une messe, firent leur entrée solennelle dans ce cimetière.
Autant, il existe une chance infime pour que Molière reposât bien au Père-Lachaise, autant il n’en existe pas pour La Fontaine. Sa tombe ne serait donc qu'un cénotaphe.
Pour justifier la présence non officielle du fabuliste au cimetière Saint-Joseph, certains ont suggéré qu’il aurait été exhumé pour être inhumé auprès de son ami, qu’on aurait trafiqué son acte de décès ou qu'il contient une erreur (ce qui en ferait deux avec celle de son âge : soixante-seize ans indiqué au lieu de soixante-quatorze, sauf que celle-ci n'a rien d'exceptionnelle) etc. Qu’on me montre un acte authentique ou une preuve irréfutable de ce transfert ou de l'erreur d'origine et j’adopterai cette version malgré sa fantaisie.
En revanche, on peut sincèrement regretter que la dépouille de Jean de La Fontaine ait disparu. N’ayant jamais été recherchée au bon endroit, on peut raisonnablement penser qu’elle fut transportée aux Catacombes lors des différents transferts qui eurent lieu à l’occasion de la désaffection du cimetière des Innocents.
Mais au-delà de l'existence ou pas des cendres de La Fontaine et de leur énigme, la présence "sympbolique" d'un repos côte à côte de ces deux colosses de notre littérature vaut toujours mieux que rien, ce dont furent victimes tant d'autres.