Mais comment cela avait-il commencé ?
Tout partit d’un fait divers tragique : le suicide d’une jeune épouse infidèle, Delphine Delamare. Son mari, Eugène, officier de santé, avait été élève de Flaubert père, médecin réputé à l’Hôtel-Dieu de Rouen. C’est ainsi que Louis Bouilhet, conscience littéraire de Gustave Flaubert, qui faisait sa médecine au même endroit, entendit parler du drame. Trouvant dans cette histoire matière à roman, il souffla l’idée à Gustave qui en fit un chef-d’œuvre universel.
Pour créer le personnage d’Emma, Flaubert mit deux en femmes en une. Elle a les traits de caractère de la poétesse Louise Colet avec qui Flaubert eut une liaison passionnée. Quant à l’existence tragique de l’héroïne, il remonta le fil de l’histoire de Delphine Delamare.
Née dans une famille de fermiers aisés, elle fut mise au couvent pour parfaire son éducation. Quand elle en sortit à seize ans, Delphine, la tête pleine des idées de grandeurs que son père, Mr Couturier, avaient reportées sur elle, rêvait d’un amour passionné loin de la ferme familiale.
Plutôt jolie, tous les espoirs lui étaient permis. En l’occurrence, ils prirent l’allure d’Eugène Delamare venu soigner son père. Ni beau, ni laid, veuf et affichant dix ans de plus qu’elle, Eugène avait au moins le charme d’être un notable et amoureux. Certes, il n'avait pas obtenu son doctorat de médecine, mais sa situation n'en semblait pas moins confortable. A dix-sept ans, elle scella son destin. Le couple s’installa à Ry où Delphine va profiter de son nouveau statut avec un mari qui, malgré ses ressources limitées, ne lui refusait rien.
Mais bientôt le bourg de province imposa ses limites. L’ennui gagna Delphine auquel la naissance d’une enfant en 1842 ne changea rien. Quelle désillusion pour cet esprit emprunt d’idéaux romantiques ! La banalité de sa vie l’étouffait quand elle rencontra Louis Campion (Rodolphe Boulanger dans le roman), un beau parleur d’accord pour la gaudriole mais pas pour s’encombrer d’une passionaria. Alors que Delphine croyait à la fuite avec son amant, celui-ci ne vint jamais au rendez-vous. Et d’un.
Nouvel espoir avec un jeune clerc de notaire Narcisse Bollet (Léon Dupuis dans le roman). Aveuglée par sa quête chimérique, l’inconséquente Delphine devint sa maîtresse. Pour un jeune clerc ambitieux, cette liaison était une entrave à sa respectabilité. Narcisse rompit brutalement. Et de deux.
Et le mari dans tout cela ? Désarmé, effrayé à l’idée de perdre sa femme, il fermait les yeux.
Pour Delphine, au comble du désespoir, le constat sonnait comme une évidence : elle passerait le reste de sa vie à rabâcher ses frustrations auprès d’un mari qui lui insupportait. Autant quitter cette vie monotone, étriquée et sans issue. Elle s’empoisonna. S’obstinant à taire ce qu’elle avait ingurgité, le Dr Flaubert, appelé à son chevet, ne put la sauver. Eugène survécut un an à son malheur.
La boucle était bouclée. En s’inspirant de cette histoire, Gustave ignorait qu’il allait immortaliser Delphine Delamare qui aurait sans doute aimé passer à la postérité pour des motifs plus glorieux.
Commencé en 1851, le roman paru en octobre 1856, sous forme de feuilletons, dans la Revue de Paris. En février 1857, Flaubert, l’imprimeur et le gérant de la revue étaient jugés pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ». Gustave, fut particulièrement blâmé pour « le réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères » mais gagna le procès qui participa ainsi à la publicité du livre.
Pour laisser cours à l’imagination du lecteur, Flaubert refusa qu’on imprimât un portrait de femme.
Flaubert situa son action dans le bourg imaginaire de ”Yonville l'Abbaye” qui se substitua à celui de Ry. Aujourd’hui la commune invite les visiteurs à accomplir son pèlerinage littéraire dans un ”circuit Bovary”, proposé par le syndicat d'initiative. En y flânant, il est difficile d’échapper au souvenir d’Emma qui fleurit sur les enseignes. Le charme de certaines maisons, fait le reste…