On connait l’invraisemblable pompe qui accompagnait les cérémonies révolutionnaires de tous poils. Mais les cérémonies funèbres entourant le « martyr » de la cause dépassaient tout ce qu’on peu imaginer. Elles ne furent pas nombreuses, mais celles de Saint-Fargeau et de Marat quelques mois plus tard, parfaitement décrites, en donnent un bel exemple. Le principal préposé à l’organisation de ces évènements était le peintre David toujours enclin à proposer un spectacle urbain d’une grandiloquence inconcevable aujourd’hui. A sa décharge, l’époque le voulait ainsi.
Plutôt que des commentaires, j’ai choisi de vous présente le compte-rendu de ses funérailles extrait du journal Le Moniteur du 27 janvier 1793. Courage !
Funérailles organisées par David
« La pompe funèbre de Lepeletier Saint-Fargeau a été célébrée jeudi 24 janvier, avec tout l’éclat que permettait la rigueur du temps et de la saison ; mais avec une affluence telle qu’elle eût pu être dans les plus beaux jours de l’année.
A dix heures du matin, son lit de mort a été placé sur le piédestal où était ci-devant la statue équestre de Louis XIV, place Vendôme, aujourd’hui place des Piques.
On montait au piédestal par deux escaliers, sur les rampes desquels étaient des candélabres à l’antique. Le corps était exposé sur le lit avec les draps ensanglantés et le glaive dont il a été frappé. Il était nu jusqu’à la ceinture, et l’on voyait à découvert sa large et profonde plaie. Ce lit, ce sang, cette blessure, ces restes inanimés étaient la partie lugubre et la plus attachante du spectacle. Il n’y manquait que l’auteur du crime chargé de chaînes et commençant son supplice par l’aspect du triomphe de Saint-Fargeau.
Dès que la Convention nationale et tous les corps qui devaient former le cortège eurent été rassemblés sur la place, une musique lugubre se fit entendre. Elle était, comme presque toutes celles qui ont embelli nos fêtes révolutionnaires, de la composition du citoyen Gossec. La Convention était rangée autour du piédestal.
Le citoyen chargé des cérémonies a remis au président de la Convention une couronne de chêne et de fleurs; alors le président, précédé des huissiers de la Convention et de la musique nationale, a fait le tour du monument, et est monté sur le piédestal pour déposer sur la tête de Lepeletier la couronne civique, pendant ce temps un fédéré a prononcé un discours ; le président étant descendu, le cortège s’est mis en marche dans l’ordre suivant :
— Un détachement de cavalerie précédé de trompettes avec sourdines.
— Sapeurs.
— Canonniers sans canon.
— Détachement de tambours voilés.
— Déclaration des droits de l’homme portés par des citoyens.
— Volontaires des six légions, et vingt-quatre drapeaux.
— Détachement de tambours.
— Une bannière sur laquelle était écrit un décret de la Convention, qui ordonne le transport du corps de
Lepeletier au Panthéon.
— Elèves de la patrie.
— Les commissaires de police.
— Le bureau de la conciliation.
— Les juges-de-paix.
— Les présidents et commissaires de section.
— Le tribunal de commerce.
— Le tribunal criminel provisoire.
— Les six tribunaux du département.
— Le corps électoral.
— Le tribunal criminel du département.
— La municipalité de Paris.
— Les districts de Saint-Denis et du bourg de l’Egalité.
— Le département.
— Détachement de tambours.
— Le faisceau des quatre-vingt-quatre département, portés par des fédérés.
— Le conseil exécutif provisoire.
— Détachement de la garde de la Convention nationale.
— Le tribunal de la cassation.
— Figure de la liberté portée par les citoyens.
— Les vêtements ensanglantés portés avec festons de chêne et de cyprès.
— Convention nationale des députés marchant sur deux colonnes de deux.
— Au milieu, une bannière où était écrite la dernière parole de Lepeletier : Je suis satisfait de verser mon sang pour la patrie ; j’espère qu’il servira à consolider la liberté et l’égalité, et à faire connaître ses ennemis.
— Le corps porté par des citoyens, tel qu’il était exposé sur la place des Piques.
— Autour du corps, des canonniers, le sabre nu à la main, accompagnés d’un pareil nombre de vétérans.
— Musique de la garde nationale, qui éxécutait pendant les marches des airs funéraires.
— Famille du mort.
— Groupe de mères conduisant des enfants.
— Détachement de la garde de la Convention.
— Tambours voilés.
— Volontaires des six légions, et de vingt-quatre drapeaux.
— Tambours voilés.
— Fédérés armés.
— Sociétés populaires.
— Cavalerie et trompettes avec sourdine.
De chaque côté, des citoyens armés de piques formaient une barrière, et soutenaient les colonnes. Ces citoyens tenaient leurs piques horizontalement à la hauteur des hanches, de main en main.
Le cortège est parti dans cet ordre de la place des Piques, et est passé par les rues de St-Honoré, du Roule, le Pont-Neuf; les rues de Thionville ( ci-devant Dauphine), Fossés-de-St-Germain, la Liberté (ci-devant Fossés-Monsieur-le-Prince), la Place St-Michel, les rues d’Enfer, St-Thomas, St-Jacques et la place du Panthéon.
Les stations étaient devant la salle des séances des amis de la Liberté et de l’Egalité; vis-à-vis de l’Oratoire, sur le Pont-Neuf, en face de la Samaritaine, devant la salle des amis des Droits de l’homme ; au carrefour de la rue de la Liberté ; place Saint-Michel, et au Panthéon.
Arrivé au Panthéon, le corps a été placé sur l’estrade, préparé pour le recevoir. La Convention nationale s’est rangée autour ; la musique, placée dans la tribune, a exécuté un superbe chœur religieux ; le frère de Lepeletier a prononcé ensuite un discours, dans lequel, il annonce que son frère avait laissé un ouvrage presque achevé, sur l’éducation nationale, qui sera bientôt rendu public, je vote, comme mon frère, la mort des tyrans. Les représentants, rapprochés du corps, se sont promis union, et ont juré le salut de la patrie. Un grand chœur à la liberté a terminé la cérémonie. »
Qui dit mieux ?!