Et l’extravagance continua.
Le surlendemain eut lieu la fête de la translation de son cœur au club des Cordeliers. Vingt-quatre membres de la Convention et douze de la commune assistèrent à cette deuxième cérémonie funèbre. Quelques membres de la société crurent honorer leur ami en demandant la permission de choisir au garde-meuble l'un des plus beaux vases « pour déposer les restes du plus implacable ennemi des rois dans les bijoux attachés à la couronne. » A cette occasion encore, on prolongea la route dans le jardin du Luxembourg ; on avait élevé à différents intervalles des reposoirs où chacun avait apporté pour ornement ce qu'il avait de plus beau.
Une députation ayant annoncé que le dimanche 28 juillet elle élèverait un autel au cœur de Marat, les paroles les plus hyperboliques, les plus saugrenues furent prononcées en cette circonstance. Un nommé Ballin compara Marat à Jésus-Christ et s'écria : « Serait-il donc vrai qu'il fallût à la nature plusieurs milliers d'années pour produire des hommes de la trempe de Jésus et de Marat ? » Le citoyen Morel, enthousiasmé par ce rapprochement, qui lui sembla sublime, monta à la tribune pour le développer : « Cette comparaison est juste sous plus d'un rapport ; comme Jésus, Marat aime ardemment le peuple et n'aime que lui ; comme Jésus, Marat déteste les nobles, les prêtres, les riches, les fripons ; comme Jésus, il ne cesse de combattre ces pestes de la société ; comme Jésus, il mena une vie pauvre et frugale ; comme Jésus, Marat fut extrêmement sensible et humain ;... »
Je vous fais grâce du reste. Comme l’indique Alfred Bougeart : « la plume tombe de pitié »
L'urne renfermant le cœur de l'Ami du peuple fut suspendue à la voûte de la salle des séances des Cordeliers. Le Président ferma la cérémonie par ces paroles : « Réveillez-vous, Cordeliers, il est temps. Courons venger Marat, courons essuyer les larmes de la France éplorée. Nous avons juré que ses ennemis seraient destitués et
proscrits ; le serment est sacré, nous l'avons fait au peuple. »
En province cinquante-huit localités changèrent leurs noms en Marat…
Le 21 septembre, après que la Convention eut décrété son immortalité, le corps de Marat fut exhumé pour être conduit au Panthéon. Ce qui fut fait en grande pompe et par la grande porte pour le mettre à la place de la dépouille de Mirabeau qu’on expulsa le même jour.
Mais, Ô Revers de l’histoire ! Cinq mois plus tard à la suite de la réaction thermidorienne, « Sa Divinité Marat » fut ressortie de son tombeau du saint des saints comme un malpropre, pour être inhumé le 27 février 1795 dans le grand cimetière Saint-Etienne-du-Mont. Mirabeau, s’il n’était déjà trépassé, en serait mort de rire.
Extraits des archives de la police :
Lettre adressée le 7 ventôse an III par Guinguéné, président de la Commission exécutive de l'instruction publique, au citoyen Soufflot, inspecteur général du Panthéon :
« Citoyen,
« La famille de feu Marat ne s'étant pas présentée pour enlever son corps du Panthéon, ainsi que l'a fait la famille Lepelletier, aux termes de la loi du 20 pluviôse dernier, nous vous invitons et autorisons, comme inspecteur du Panthéon, à donner les ordres nécessaires pour que la loi ait la plus prompte exécution, et que le corps de feu Marat soit inhumé dans le cimetière le plus voisin. Salut et fraternité. »
Procès-verbal dressé le 8 ventôse par le citoyen Parot, commissaire civil de la section du Panthéon, assisté de son greffier, le sieur Desgranges :
« Nous, Michel Parot, commissaire civil de la section du Panthéon français, etc., nous sommes transporté au monument du Panthéon et en avons fait extraire les restes de Marat renfermés dans un cercueil de plomb couvert d'une caisse en bois, en présence dudit citoyen Soufflot, et avons fait transporter le cercueil au cimetière ci-devant Geneviève le plus proche, et avons fait retirer le cercueil de plomb de la caisse en bois, l'avons fait déposer sur deux tréteaux pour être inhumé le plus tôt possible. La caisse en bois a été remise au citoyen Soufflot qui le reconnaît ».
Son cercueil de bois, comme celui de Mirabeau, resta au dépôt mortuaire avant, lui aussi, de disparaître.
Personne ne s’étant jamais soucié de récupérer ses restes mortuaires, sachant que des immeubles et la bibliothèque Sainte-Geneviève recouvrent une partie du cimetière et que des ossements sont encore au-dessous du trottoir…