En clair, il faut admettre que son style rend difficile l’accès de sa pensée et exige une concentration optimale de la part du lecteur.
Issu d’une famille d’artisans modestes, orphelin de père peu après sa naissance, le garçonnet, qui aidait sa mère et sa grand-mère rempailleuses de chaises, ne perçut de cette vie laborieuse que l'allégresse, le rythme et la satisfaction du travail accompli. L'Argent (1913), témoigne de la nostalgie de cette enfance idéalisée avec le temps, regard qu’il ne porta pas toujours avec la même indulgence.
Boursier, il obtint son baccalauréat puis le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure pour devenir instituteur, diplôme qu’il ne décrocha pas.
Jeune homme ardent à la forte personnalité, ce fut l’heure de ses premiers engagements politiques avec le socialisme dont la figure de Jean Jaurès le fascinait. Il se forgea alors une vision personnelle du socialisme faite de rêve, de fraternité et de convictions tirées de sa culture chrétienne, même s’il n’avait plus la foi, bien éloignée d’une idéologie à inculquer.
Grâce à la dot de sa femme, il ouvrit une librairie socialiste qui périclita et où il se retrouva simple gérant appointé. L’affaire Dreyfus, dans laquelle il ne voulut voir qu’une sublime controverse de morale politique, l’éloigna de ses amis socialistes. Il reprit sa liberté à l’égard de toute consigne du parti et, en 1900, fonda les Cahiers de la Quinzaine, réalisation de son rêve d’un « journal vrai ».
Jusqu’alors internationaliste et pacifiste, en 1905, le « coup de tonnerre » de Tanger bouleversa ses perspectives intellectuelles et politiques en lui faisant découvrir la réalité charnelle de la patrie face à la menace allemande. Désormais, héritier à la reconquête de sa race, de sa terre et de ses traditions, il évolua vers le nationalisme : Notre Patrie (1905).
Se méfiant du monde clérical, il glissa vers un catholicisme païen, au sens de paganus (paysan), étrange et poétique où les affaires de Dieu sont souvent confondues avec une mystique de l’héroïsme et du messianisme national français. Ainsi, son Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910) était-il une refonte de sa Jeanne d’Arc socialiste de 1897. Jeanne, qu’il chérissait avec l’émotion d’un Villon et la familiarité d’un contemporain pour une paysanne.
Dans ses œuvres suivantes, il édifia un des sommets de la poésie chrétienne française avec en fond les valeurs traditionnelles de l'homme : son humble travail, sa terre, sa famille.
Dédaigné par la plupart des grands écrivains de son temps, il devint le chef d’une petite chapelle non sans influence sur une partie de la jeunesse que fréquentèrent de nombreuses grandes plumes en devenir.
Obsédé par la perspective d’une guerre imminente, il rêvait d’être le rassembleur de toutes les traditions françaises et dénonçait l’esprit de capitulation incarné à ses yeux par Jaurès. Aussi est-ce avec une sorte de soulagement et d’allégresse qu’il rejoignit son affectation de lieutenant d’infanterie aux premiers jours de la Première Guerre mondiale.
Le 5 septembre 1914, pendant les combats de la bataille de l'Ourcq -premier acte de la bataille de la Marne- alors qu'il exhortait sa compagnie à ne pas céder un pouce de terre française à l'ennemi, il fut tué d'une balle au front.
Son corps et ceux des officiers et soldats tombés en bordure du chemin menant de Villeroy à Chauconin furent inhumés les 7 et 8 septembre 1914 près de l’endroit où la mort les faucha.
Dans le silence qui a remplacé le fracas de la bataille, ce cimetière ne ressemble à aucun autre. Pas d’alignements de croix, mais un petit enclos propret au bord de la route, plutôt ossuaire que cimetière. Le terme de Grande Tombe est bien choisi pour cette sépulture renfermant les corps de 133 soldats. Selon un témoin, Charles Péguy reposerait à l'une des extrémités de la fosse, la tête vers la route. Sur le monument, érigé en 1932, sont gravés 99 noms, 34 corps n’ayant pu être identifiés.