Chorégraphe dès 1912, sa première mise en scène, L’Après-midi d’un faune d'après le Prélude à l'Après-midi d'un faune de Claude Debussy, fut l’occasion pour lui d’élaborer un système de notation de l’œuvre : c’était le premier ballet du 20e siècle entièrement noté. Grâce à cette méthode, des spécialistes ont pu reconstituer fidèlement certaines de ses chorégraphies dont L’Après-midi d’un faune et une partie du Sacre du printemps.
Mélomane, doté d’une oreille musicale exceptionnelle, la musique était un élément central de son travail. Il entama la création du Sacre du printemps dont Stravinsky, avec lequel il collabora, composa la musique. Bousculant tous les codes, l’œuvre allait à l’encontre de la représentation traditionnelle de la danse. De façon paradoxale, lui qui était un extraordinaire danseur aérien, renonça soudainement dans ses ballets à « l’élévation de ses danseurs » pour les « clouer au sol ». Courbés, de profil, pieds en dedans, lors de la première le tollé fut si général qu’il était impossible d’entendre jouer l’orchestre. Bien que mal perçu car beaucoup trop en avance sur son temps, Nijinski venait simplement d’inventer la danse moderne.
Un aspect sans doute plus méconnu de la personnalité de Nijinski est sa complète inaptitude sociale. Cette incapacité à communiquer rendit sa carrière chorégraphique cauchemardesque et aggrava son état dans les années qui suivirent.
En 1913, lors d’une tournée en Amérique du Sud, il épousa à Buenos Aires la danseuse hongroise Romola de Pulszky (1891-1978). Diaghilev, dévasté par cette nouvelle et jaloux de cette union, le congédia sans préavis.
Alors qu’il n’avait pas trente ans, arraché brutalement de la danse, artiste d’avant-garde ne pouvant plus s’exprimer, et très vulnérable mentalement, il sombra peu à peu dans la folie. La longue épreuve de la Première Guerre mondiale amplifia son état en le plongeant dans une profonde dépression. Il entama l’écriture de ses cahiers dans lesquels il livrait son regard sur le monde et exposait sa détresse psychologique. Laurent Terzieff disait : « C’est quand Nijinsky est, dans son journal, le plus incohérent qu’il nous livre les vérités les plus profondes ». Diagnostiqué schizophrène en 1919, sa longue agonie l’accompagna jusqu’à sa mort à Londres où il fut d'abord inhumé.
Presque trois ans plus tard, le 16 juin 1953, à l'initiative de Serge Lifar, ce génie singulier fut solennellement transféré à Paris au cimetière de Montmartre.Sa tombe est un ornée d’une statuette du sculpteur russe Oleg Abaziev, plus ou moins supposée représenter Nijinski dans son costume de Petrouchka, les bottes de cow-boy en plus ! Elle fut acceptée par les services de la Ville de Paris avec l’assentiment de la veuve de Lifar, propriétaire de la concession, mais sans l'accord de la famille de Nijinski, sa fille Tamara et sa petite-fille Kinga. Et malgré les diverses campagnes pour la faire retirer, la clownesque et ridicule bestiole est toujours là.