L'histoire
En quittant Manda pour Leca, Amélie déclencha les hostilités entre les deux hommes et leurs bandes respectives. Après avoir porté un coup de couteau à son rival, Manda fut arrêté, mais sa victime, refusant de le reconnaître devant la police, il fut libéré et en profita pour attaquer l'hôtel où résidaient les deux amants, sans que personne ne soit blessé. La guerre étant déclarée, une bataille rangée eut lieu une semaine plus tard entre les deux bandes, dont Leca sortit avec deux avec deux balles de revolver dans le bras et la cuisse. A l’hôpital Tenon, où il était soigné, la police vint l’interroger mais il observa la même loi du silence. Il se dit que c’est là que naquit le surnom de Casque d’or pour Amélie, quand une infirmière lui demanda, suite à deux visites de femmes, s’il préférait la brune ou la blonde comme un casque d’or. « Casque d’or » aurait-il répondu.
Mais, à sa sortie de l’hôpital, la bande de Manda l’agressa de nouveau à coups de couteau dans le fiacre qui le transportait à son domicile. Il retourna à l'hôpital. Cette fois, la presse s’empara de l’affaire. Un journaliste du Petit Journal, Arthur Dupin, s'indigna :
« Ce sont là des mœurs d’Apaches, du Far West, indignes de notre civilisation. Pendant une demi-heure, en plein Paris, en plein après-midi, deux bandes rivales se sont battues pour une fille des fortifs, une blonde au haut chignon, coiffée à la chien ! »
Si Leca, une fois de plus, se mura dans le silence, son père, épuisé par les incessantes agressions contre son fils, finit par livrer le nom de Manda qui prit alors la fuite.
Après une semaine à Londres, l’handicap de la langue lui paraissant insurmontable, il retourna à Alfortville où, reconnu et dénoncé, il fut arrêté par un détachement d'une cinquantaine de policiers.
Les faits ne passèrent pas inaperçus. La presse se rua sur l’affaire et sur le procès qui s’en suivit accompagné de son cortège de chansons, de pièces de théâtre et d’écrits divers qui s’en inspirèrent.
Il faut dire que la part belle fut réservée à Amélie qui fascinait et émoustillait le bourgeois venu assister avec délectation aux débats de la Cour. « Médiatisée », photographiée, reine du moment, elle se voyait déjà au firmament d’une nouvelle vie due à sa célébrité qui lui procurait des revenus inattendus. Elle déchanta.
En 1902, à l’issue de son procès, Manda fut condamné au bagne à perpétuité. Le temps passa et sa peine fut commuée en vingt ans de réclusion. Libéré, mais frappé d’une peine de relégation, il ne pouvait rentrer en France. Resté à Cayenne, il y mourut usé par le climat et les fièvres. Il fut inhumé au cimetière de Cayenne où sa tombe a disparu depuis des lustres.
Leca, rattrapé à son tour par la justice à Bruxelles où il s'était réfugié, paya sa dette de mauvais garçon en se voyant, lui aussi, offrir un aller simple pour la Guyane. Libéré après huit ans de bagne, mais également relégué, il tenta de s’échapper de Guyane mais fut assassiné en pleine forêt vierge par des chercheurs d’or.
Quant à Casque d’Or, l’affaire dont elle fut la vedette, et qui n’était pas celle du siècle, finit par être oubliée. Après avoir lassé le monde, elle devint dompteuse dans un cirque. Mais son destin de fille de mauvaise vie la poursuivant elle se trouva un jour en face d’un ancien lieutenant de Manda qui, voulant venger son chef, lui planta un couteau dans le corps. Le coup n’était pas mortel mais handicapa Amélie qui n’était plus bonne à rien. Les projecteurs s’étaient éteints depuis longtemps. Elle se maria en 1917 avec un dénommé Nardin, fit commerce d’étoffes et de bonneterie sur les marchés de Montreuil et des Lilas.
Personne ne fit attention à elle quand elle mourut prématurément vieillie à seulement cinquante-cinq ans. Sa concession n’ayant pas été renouvelée, ses restes reposent au milieu des anonymes de la fosse commune.
Evidemment, cette fin réelle est moins émouvante que la tête de Serge Reggiani coupée à l’aube sous le regard embuée d’une Simone Signoret transie d’amour.