L’agresseur s’appelait Robert François Damiens. Arrêté, torturé on se rendit vite compte qu’il n’avait pas de complices et qu’il n’était pas le bras armé d’un complot de l’extérieur ou de l’intérieur. Le pauvre hère avait agi fanatisé par l’exaltation des milieux judiciaires du moment où les parlementaires étaient en plein fronde contre le roi. Employé par l’un d’entre eux, de surcroît janséniste forcené, Clément de Feillet, que Damiens considèrait comme « son dieu », l’occasion lui avait souvent été donnée d’entendre ces messieurs vitupérer le souverain et préparer les incidents qu’ils susciteraient au parlement. Ces propos et les rumeurs qu’il glanait aussi dans les galeries du palais de justice étaient très enflammés. A force d’en avoir la tête farcie, Damiens, pas idiot mais d’esprit bizarre se convainquit que le roi était un méchant qui n’écoutait pas son parlement et qu’il fallait l’en punir.
Louis XV, bien que profondément affecté, déclara qu’il pardonnait et aurait préféré de la discrétion autour de cette affaire. Une peine symbolique lui aurait probablement suffi. Mais un attentat commis contre un roi était un crime de lèse-majesté au premier chef et les suites échappaient à la victime. L’opinion publique et l’appareil judiciaire y veillaient.
Transféré à la Conciergerie dans le même cachot que Ravaillac, Damiens attendait son procès dans des conditions de détention épouvantables. Pour sa défense, il réitéra à plusieurs reprises que s’il n’avait servi que des gens d’épée, il ne serait pas ici, ce qui était certainement vrai. Mais on fit en sorte de ne pas évoquer la responsabilité morale des parlementaires et le bouc émissaire porta seul le poids de sa faute. Régicide, Damiens fut condamné à être écartelé puis brûlé après avoir connu un régime inhumain qui faisait encore frémir Sanson dans ses Mémoires, Sanson qui pensait que Damiens n’était qu’un pauvre fou.