Il faut imaginer le futur supplicié exprimant quelques ultimes requêtes comme la remise d’une mèche de cheveux à un proche ou essayant de calmer son angoisse en s’assurant d’un service rapide. Il faut aussi imaginer le bourreau, en l’occurrence Charles-Henri, écoutant ces suppliques tachant d’y accéder au mieux qu’il pouvait. Il faut encore imaginer ce tête à tête surréaliste fait d’un homme s’apprêtant à mourir confiant mille et un détails à celui qui va le tuer.
Des moments poignants Charles-Henri Sanson en vécut de nombreux. C’est par les « égards » dont il entourait les condamnés que ce bourreau-là gagna sa réputation d’humanité et de décence. Bon professionnel, avec lui les exécutions ne se transformaient pas en boucherie.
Durant la Révolution, le dégoût s’est emparé insidieusement de cet homme qui pourtant en a tant vu. « Quand ils sont jeunes, je n’ai que pitié ; quand ils sont vieux, j’ai horreur » dira-t-il. Et puis lui vint le triste privilège d’exécuter Louis XVI. Charles-Henri, qui avait espéré que le roi soit délivré sur le chemin, fut sincèrement et profondément traumatisé par son exécution. Il en éprouva de tels remords qu’il légua de l’argent pour faire célébrer chaque année une messe expiatoire en l’église Saint-Laurent. De cet épisode, Balzac tira sa nouvelle la Messe du bourreau.
Par la suite, accusé d’avoir des inclinations royalistes, il fut arrêté avec ses deux frères, respectivement exécuteurs à Tours et à Versailles, qui lui servaient parfois d’aides. Relaxés puis de nouveau arrêtés, ils furent libérés à la veille des massacres de septembre 1792…
En 1795, et avant le mois de mai, Charles-Henri, las de ce métier, offrit à son fils Henri de lui succéder. Officiellement, il restait le bourreau, mais n'exercera plus jusqu'à sa mort. Je dis bien 1795 et avant le mois de mai pour sa passation de pouvoir et non 1793 et autres dates. La chose est d’importance car, contrairement à qui est souvent indiqué un peu partout (copier/coller ?), Charles-Henri fut le bourreau officiel de toute la Révolution, de la Terreur et de Thermidor.
Ce qui peut prêter à confusion est le fait qu’Henri, en tant qu’aide bourreau, était présent lors des exécutions et qu’il lui est arrivé d’actionner le couteau de la guillotine à la place de son père comme le rapportent des témoins oculaires incontestables. En revanche, c’est bien Henri qui eut le privilège de raccourcir Fouquier-Tinville le 7 mai 1795, Carrier et autres sinistres olibrius.
A sa mort, les temps ayant changé, il ne pouvait pas rejoindre la sépulture familiale en l’église Saint-Laurent. D'abord inhumé dans le premier cimetière de Montmartre (le Champ du Repos), il fut par la suite transféré dans la concession qu'acheta son fils dans la 20ème division du cimetière de Montmartre en 1829.
Il eut trois enfants, dont Henri son fils aîné qui lui succéda après avoir été son aide, et Gabriel (1769 – 1792) aide-bourreau lui aussi, qui mourut en tombant de l’échafaud en voulant exhiber une tête de supplicié à la foule…