Spectacle fascinant dans le prétoire qu’il continua à donner dans sa cellule de la Conciergerie où le Tout-Paris se bousculait pour le visiter. Là, avec une sidérante désinvolture, avec la complicité des autorités, qui tentaient ainsi de faire oublier l'interminable procès des républicains après les émeutes de Paris et de Lyon (1834) et le jugement du régicide Fieschi, Pierre-François attendait son exécution en écrivant des vers plutôt réussis, selon les critères du moment, où il assassinait allégrement la morale et dénonçait cette société qu’il regardait comme aussi sordide que ses crimes. Et le fait divers ignoble et le subversif de laminer tout à coup le langage divin de la poésie. C’est en cette singularité, qui déclencha un scandale inouï, que réside en bonne partie la célébrité du personnage qui « devint le poète-assassin », le « Dandy du crime » dont se saisirent de nombreux écrivains, mais aussi le cinéma notamment dans Les Enfants du Paradis de Marcel Carné (1945).
Sa fuite en avant, aux allures d’un suicide délibéré prévu de longue date, allait trouver sa fin sous le couperet de la guillotine, sa « belle fiancée » qu’il saluait dans son Dernier chant :
Salut à toi, ma belle fiancée,
Qui dans tes bras vas m’enlacer bientôt !
A toi ma dernière pensée,
Je fus à toi dès le berceau.
Salut ô guillotine ! expiation sublime
Dernier article de la loi,
Qui soustrais l’homme à l’homme et le rends pur de crime
Dans le sein du néant, mon espoir et ma foi.
Les Mémoires, révélations et poésies de Lacenaire, écrits par lui-même à la Conciergerie, furent publiés à titre posthume quelques mois plus tard, en partie censurés par l'éditeur.
Transféré au fort de Bicêtre le 8 janvier avec Avril, également condamné à mort, amené le lendemain à la barrière Saint-Jacques pour son exécution, il refusa le secours de la religion. L’air dégagé, Pierre-François Lacenaire monta les degrés de l’échafaud, promena son regard sur la foule comme s’il avait voulu l’haranguer. Etendu et lié sur la bascule, il attendait le coup fatal qui ne venait pas au grand embarras du bourreau Henri-Clément Sanson. La guillotine était ancienne, elle venait de servir pour Avril, nous étions en hiver, etc. Autant de raisons qui retenaient le couteau qui ne se détachait pas. De longues secondes d’un supplice supplémentaire pendant lesquelles, dans un effort désespéré, Lacenaire tournait sa tête vers la hache qui s’abattit enfin, le saisissant un léger sourire aux lèvres.