Après la ruine de leur père, François et son frère furent envoyés à Abbeville chez leur cousine germaine, Anne Marguerite Feydeau, abbesse de Willancourt.
Le 9 août 1765, on découvrit une statue du Christ tailladée à plusieurs endroits par soi-disant un instrument tranchant.
L’enquête fut confiée Duval de Soicour, lieutenant de police d’Abbeville et à Belleval, lieutenant du tribunal d’élection qui avait été éconduit par l’abbesse de Willancourt.
A défaut de trouver le coupable de ce sacrilège, les rumeurs allèrent bon train. N’avait-on pas vu François de La Barre et ses amis Gaillard d’Etallonde et Moisnel , chanter des textes libertins à l’égard de la
religion ? Lors du passage d’une procession en juillet 1765, n’avaient-ils pas gardé leurs chapeaux au lieu de se découvrir respectueusement ? N’avaient-ils pas refusé de s’agenouiller ?
Malheureusement, l’évêque d’Amiens, étant aussi celui d’Abbeville, donna à cette aventure une célébrité et une importance qu’elle ne méritait pas. Il fit lancer des monitoires; il vint faire une procession solennelle auprès de ce crucifix, et on ne parla dans Abbeville que de sacrilèges. On disait qu’il se formait une nouvelle secte qui brisait tous les crucifix, qui jetait par terre toutes les hosties et les perçait à coups de couteau. On assurait qu’elles avaient répandu beaucoup de sang. On renouvela tous les contes calomnieux répandus contre les juifs dans tant de villes d'Europe. Soicourt et Belleval n’hésitèrent pas à fabriquer de fausses preuves et à s'allier de faux témoignages.
Ces dénonciations amenèrent à la perquisition du domicile de François où l’on découvrit trois livres interdits : le Dictionnaire philosophique de Voltaire et des ouvrages érotiques. Qu’importait que François de La Barre eût un solide alibi prouvant qu’il ne pouvait avoir profané la statue du Christ. Discrédité vis-à-vis de l’opinion bien pensante, le jeune « dépravé » se transforma en coupable idéal.
Ne pouvant envisager le danger auquel il était exposé, et pensant que les interventions amicales et familiales l’innocenteraient, François ne fuit pas. Il fut arrêté le 1er octobre 1765. Malgré le remarquable plaidoyer du journaliste et avocat Linguet et la défense des amis de l’abbesse de Willancourt devant le Parlement de Paris, la condamnation aux galères obtenue en première instance fut commuée en condamnation à mort.
Mis en cause dans cette affaire, Voltaire se mobilisa pour sauver La Barre et ses coaccusés. Rien n’y fit ; pas même l’avis du nonce du pape à Paris qui fit savoir qu’à Rome il n’eût été condamné qu’à une pénitence de quelques années. Louis XV, peu enclin à contrarier les dévots et qui n’appréciait pas « les Lumières », refusa sa grâce.
Victime d’une raison d’Etat qui le dépassait, François fut soumis à la question ordinaire et extraordinaire. Il finit par avouer des blasphèmes dérisoires, des gamineries de gosses mal élevés.