Vers 1831, ils débarquèrent à Paris et s’installèrent dans le quartier juif, non loin de la place de Grève. Véritables romanichelles, les fillettes chantaient aux carrefours.
Et puis la première marche vers un sort meilleur vint à se présenter sous la forme d’une embauche du père Félix par Saint-Aulaire acteur au Théâtre-Français et directeur de son conservatoire où, pour la première fois, Rachel reçut un minimum d’instruction et apprit des rôles. Elle devint la vedette du petit groupe de jeunes que formait Saint-Aulaire et rentra au Conservatoire en 1836.
En 1837, l’acteur Joseph Samson, qui l’avait déjà remarquée, l’a pris sous son aile et transforma cet étonnant petit canard de basse-cour en un cygne de la plus belle élégance sachant maîtriser tous les jeux de la scène. Et le nom de Rachel s’accrocha au firmament des affiches...Elle avait vingt ans. La gloire, la richesse, l’adulation des hommes, beaucoup d’amants de toutes sortes parmi lesquels le comte Alexandre Walewski, fils adultérin de Napoléon Ier, dont elle eut un enfant que le comte lui retira las de sa vie débridée : il ne lui pardonna pas une intrigue avec Emile de Girardin. Elle se surpassa dans la tragédie. Sans doute à cause de sa misère passée, Rachel était âpre aux profits, sa soif des richesses était inextinguible. Son père, toujours chef de tribu, veillait au grain et aux gains.
Sociétaire de la Comédie-Française, que ses caprices ne ménagèrent pas, elle partit aussi sur les routes pour des tournées longues et harassantes. Sa santé et son jeu s’en ressentirent. Il arriva que Paris la boudât en lui préférant la Ristori, une tragédienne italienne. Tous les auteurs qu’elle avait déçus ou mécontentés par ses caprices et ses absences se liguèrent en faveur de la nouvelle venue, et Rachel eut la faiblesse de laisser voir son dépit.
Alors, elle rêva d’Amérique. Bien que très malade, elle s’embarqua pour New York où le succès ne fut pas au rendez-vous. Après des pérégrinations épuisantes, elle rentra en France « exténuée, livide, les yeux creux, ne pouvant pas proférer quatre paroles sans que sa voix expire dans un accès de toux ».
Fuyant Paris la cruelle, où elle ne souhaitait exposer sa décadence et sa fin, elle s’installa sur la Côte-d'Azur, au Cannet.
Le 3 janvier 1858, le consistoire de Nice fit en sorte qu’elle mourût entourée de la religion de ses pères. Rachel murmura en hébreux les versets sacrés et s’éteignit.
Son corps fut ramené à Paris. Ses obsèques eurent lieu devant une foule considérable. Jules Janin, l’un des critiques les plus hostiles aux voyages outre-atlantique de la tragédienne, prononça son oraison funèbre : "Voici que nous rapportons morte, au tombeau de sa sœur Rébecca, la plus jeune et la plus grande de notre âge. Ici reposent en même temps l’éloquente Rachel et tous les grands poètes d’autrefois qu’elle avait ranimé de son souffle ingénu et tout-puissant ! A l’aspect de tant de douleurs, messieurs, notre voix est impuissante. Un seul homme aujourd’hui pourrait raconter un tel deuil ; cet homme est le plus grand poète de notre temps, et, nouveau Prométhée, il habite un écueil au milieu de l’Océan !"
Elle fut inhumée dans l’ancienne section juive du cimetière.
« Le phénomène », comme la qualifiait Mlle George, avait été durant vingt ans, ce que Sarah Bernhardt représenta sous la IIIe République, la plus grande tragédienne de son temps.