Alors que se préparait la réunion des Etats généraux, l’abbé publia ses Vues sur les moyens d’exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789 et un Essai sur les privilèges qui lui valurent un début de notoriété.
Méprisant la noblesse et ses privilèges, Sieyès n’avait jamais caché son aversion pour cet ordre auquel il n’appartenait pas. Ce fut pour lui l’occasion de publier un nouveau pamphlet en janvier 1789, Qu’est-ce que le tiers état ? qui fit l’effet d’une bombe. Dans un style incisif, l’abbé laissait s’épancher toute sa haine pour cette aristocratie qui n’était rien d’autre qu’une « caste inutile […] étrangère à la nation par sa fainéantise ». Sorti de l’anonymat, Sieyès devint une manière de héros dans les rangs du tiers, et à Paris ses admirateurs le pressaient d’accepter d’être leur représentant aux Etats généraux.
Il joua alors un rôle de premier plan dans les évènements qui se précipitaient. Aux côtés de Mirabeau, Bailly ou de Le Chapelier, il convainquit les autres représentants du tiers de constituer une Assemblée nationale le 17 juin. Trois jours plus tard, dans la salle du Jeu de paume de Versailles, il rédigea le fameux serment fait par les représentants de ne pas se séparer « jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondations solides ».
Favorable à une monarchie constitutionnelle, Sieyès pensait que celle-ci pourrait advenir bientôt. Ce qui, en 1793, ne l’empêcha de voter la mort de Louis XVI.
Dans la nuit du 4 août qui vit l’abolition des privilèges, il tenta vainement de proposer qu’une indemnité soit versée aux nobles. Mais les députés du tiers ne l’écoutèrent pas. Et Sieyès de noter avec amertume : « Ils veulent être libres et ne savent pas être justes ».
La Révolution était en marche et l’abbé s’effaça devant d’autres. Il rendit ses lettres de prêtrise et regarda avec prudence tous les évènements qui s’enchaînaient, acceptant quelques fonctions, puis se retira laissant à Danton et Robespierre le soin de poursuivre une Révolution peu conforme à ses vues.
La chute de Robespierre favorisa son retour sur la scène politique. Membre du Comité de salut public en 1795, puis président de la Convention, il renonça à faire partie du Directoire et prit la présidence du Conseil des Cinq-Cents.
En 1799, de retour en France, après une ambassade en Prusse, il accepta cette fois de siéger au Directoire et se mit en quête de l’homme capable de « terminer » la Révolution en imposant un régime fort. En fait Sieyès cherchait surtout le "sabre" qui lui manquait pour faire tomber l'actuel Directoire et amener les Conseils à accepter un changement de régime dans lequel il aurait sa place. Il le trouva. Présenté par Talleyrand, cet homme avait les traits d’un jeune général auréolé de ses faits d’armes en Italie et en Egypte et s’appelait Bonaparte. Sieyès instigua et favorisa le coup d’Etat du 18 Brumaire (9 novembre 1799), première marche vers l'Empire, mais cela personne ne l'imaginait encore.
Il rêvait de partager le pouvoir avec Bonaparte…Mais celui-ci, dorénavant premier Consul, n’en avait pas l’intention et n’entendait rien aux idées constitutionnelles de Sieyès qu’il estimait du galimatias.
Evincé, ses projets de Constitution évanouis, l’ancien abbé fut envoyé au Sénat où il bouda l’Empire qui le fit néanmoins comte en 1808. Ses charges honorifiques furent une bien piètre consolation.
Il accueillit favorablement le retour des Bourbons. Néanmoins, il se rallia à Napoléon Ier lors des Cents-Jours.Contraint de s’exiler après la chute de l’Empire comme tous les régicides, il rentra en France à l’occasion de la révolution de 1830 qui l’autorisa à siéger à l’Académie des sciences morales et politiques.
L’âge venant, il retomba en enfance et la légende rapporte qu’il dit un jour à son valet de chambre : « Si M. de Robespierre vient, dites que je n’y suis pas ».
Il s’éteignit à Paris, respecté et admiré comme l’un des grands penseurs de la Révolution dont les acquis étaient dorénavant établis.
Emmanuel-Joseph fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise.