A 15 heures, Klaus Barbie et ses hommes investissaient la maison du Dr Dugoujon.
Jean Moulin a-t-il été trahi ? Et si oui par qui ? Outre le traitre, s’il n’a jamais existé, un seul homme savait d’où il tenait ses informations, c’était Klaus Barbie.
Sans détailler, grâce à l'ouverture de nombreuses archives, il semble bien qu'un cumul d’imprudences commises sciemment ou non par certains résistants ou services secrets étrangers seraient davantage à l'origine de l'arrestation que la trahison d'une personne.
Tandis que Hardy réussissait à s’échapper, les sept autres furent arrêtés et détenus au fort de Montluc, transformé en prison. Barbie savait qu’il tenait Jean Moulin, mais lequel était-ce ? Tous furent torturés. Au bout de deux jours, Aubry craqua.
Identifié, Jean Moulin, de nouveau questionné et torturé, ne parla pas. On le transféra à la Gestapo de Paris. Nouvelles tortures. Comme le rappelle André Malraux dans son célèbre discours : « Le destin de la Résistance est suspendue au courage de cet homme ». C’est un moribond qu’on mit dans le train pour Berlin pour y être de nouveau interrogé. Il mourut le 8 juillet entre Frankfort et Metz ou en gare de Metz.
Et ensuite ?
Nul ne saurait dire. Sa dépouille supposée fut renvoyée à Paris où elle fut crématisée au Père-Lachaise. Ses cendres furent déposées dans une urne, portant le numéro 10 137 avec une inscription « cendres présumées de Jean Moulin », qu'on plaça dans la case 2645 du carré réservé à la Résistance.
Après avoir mené une longue enquête, sa soeur retrouva enfin ce qui restait de "son frère". On lui remit entre les mains une urne contenant les cendres d’un inconnu mort en Allemagne le même jour que lui et censées être les siennes. Et ce sont ces cendres là qui « entrèrent avec son terrible cortège » au Panthéon le 19 décembre 1964 lors d’une cérémonie grandiose et émouvante dont les trémolos de la voix de Malraux résonnent encore.
L'idée de transférer les cendres de Jean Moulin Panthéon, pour le 20e anniversaire de la Libération, revint à l'Union des résistants de l'Hérault et fut relayée par la gauche locale. Repris par Malraux, alors ministre d'Etat aux Affaires culturelles, puis par le général de Gaulle, le projet fut l’objet d’un décret. Le transfert se déroula après le vote d'amnistie des délits commis pendant la guerre d'Algérie et une semaine avant le vote de l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité : entre l'oubli des crimes d'Algérie et la réaffirmation que l'on n'oubliait pas ceux de la Seconde Guerre mondiale, il s'agissait d'opérer une sélection du passé propre à ressouder la cohésion nationale. L'entrée des cendres de Moulin au Panthéon servait le mythe d'une France résistante unie autour du général de Gaulle et de mémoire officielle de la guerre. Ce n’était pas encore l’heure de l’examen de conscience et du grand déballage.
Moulin, héroïsé représentait dorénavant à lui seul le combat pour la liberté, le martyre de tout un peuple : les résistants s’effacèrent devant la Résistance, ici entendue comme résistance gaulliste, car il est indéniable qu’au travers de ce discours la vedette du jour était aussi « l’homme du 18 juin ».
Le lyrisme de Malraux, psalmodiant à la manière des grands orateurs tragiques, et son tutoiement rappelaient le compagnonnage résistant et la proximité avec l'homme.
La cérémonie se déroula les 18 et 19 décembre 1964 en deux temps. Tout d'abord eut lieu le transfert de l'urne du Père-Lachaise à la crypte des martyrs de la déportation dans l'île de la Cité où 194 compagnons de la Libération, de toute tendance politique, formèrent une garde d'honneur.
Le transfert au Panthéon s'effectua de nuit à travers Paris. Le lendemain, De Gaulle présida les hommages avec la pompe républicaine. Malraux prononça son magnifique et légendaire éloge funèbre que termina Le Chant des Partisans
« [...] Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège [… ] Ecoute aujourd'hui jeunesse de France ce qui fut pour nous le chant du malheur, c'est la marche funèbre des cendres que voici [...]».
Je n'ai selectionné qu'un extrait du discours, mais on trouve sans problème son enregistrement complet (18 mn) sur Internet.
- Extrait du discours et descente des cendres de Jean Moulin dans son caveau (l'apostrophe : "entre ici..." se trouve à 00 :2 :15)