On avait même vu le traître Dumouriez dans l’entourage du prince ! C’était là aussi une erreur. Mais, dans l’immédiat, ce dossier renforçait la conviction de culpabilité du duc d’Enghien aux yeux d'un Bonaparte au comble de l’exaspération. Les évènements se précipitant, il fallait en finir et frapper fort. Néanmoins, mû par un dernier scrupule, ou par le besoin de faire partager la responsabilité qu'il allait prendre, le Premier Consul réunit son Conseil le soir du 10 mars 1804. Talleyrand conclut en assurant qu'il n'y avait qu'un seul moyen: « Enlever le duc et ses complices à Ettenheim et le déférer sur le champ à un tribunal spécial ».
A la Révolution, Louis Antoine Henri de Bourbon-Condé, duc d’Enghien et dernier descendant des Condé, avait rejoint l'Armée des émigrés qui se formait outre-Rhin sous le commandement de son grand-père, le prince de Condé et de son père, le duc de Bourbon. Depuis le congé donné à l’armée de son grand-père en 1801, après un séjour en Angleterre, il s’était fixé à Ettenheim où il vivait avec la passion de sa vie, Charlotte de Rohan-Rochefort, rencontrée en 1792. Bien que sachant que son grand-père n'accepterait jamais cette mésalliance, son amour était si grand qu’il n’avait pas hésité à l’épouser morganatiquement. S’étant toujours tenu en dehors des intrigues, il ne pouvait imaginer qu’il était pris dans l’un de ses écheveaux. Malgré les conseils de ses proches, il avait refusé de s’éloigner d’Ettenheim si près de la France, bien trop près. Sur l'orde de l'Empereur, Savary veillait en attendant qu'Ordener passe à l'action.
De l’autre côté de la frontière, le raid fut préparé et, dans la nuit du 14 au 15 mars 1804, en toute violation de la souveraineté de l’Etat de Bade, le prince fut enlevé. Celui qu’on regardait comme l’âme des complots mettant en péril le gouvernement consulaire arriva au château de Vincennes le 20 mars.
Joséphine, qui avait connu le jeune duc, eut beau supplier son époux de ne pas céder à une irréparable colère, rien n’y fit. Enghien avait demandé une audience à Bonaparte qui ne lui parvint pas à temps. Par la suite, à plusieurs reprises, l’Empereur exprima son regret de cette entrevue manquée car, disait-il, devant les inclinations naturelles du prince à son égard, il aurait fait preuve de clémence. Les destins de l’Histoire basculent souvent pour peu de choses. Ainsi en alla-t-il de celui du duc après un jugement expéditif par une commission militaire présidée par Hulin. Au pied du pavillon de la Reine devant le peloton d’exécution, il eut l’autorisation de se couper une mèche de cheveux qu’il déposa dans un billet avec son alliance à remettre à sa femme. Une dernière prière et, à trois heures du matin, le duc tomba foudroyé. Cette exécution, presque sans intérêt politique, souleva des vagues d'indignation dans les cours européennes et marqua un tournant dans l'évolution vers l'Empire ; elle a rassuré les Conventionnels régicides et autres brumairiens trop compromis avec la Révolution et renforcé leur alliance avec Bonaparte. Deux mois plus tard, ce dernier était proclamé Empereur.