Eugénie ! Fille d'Alphonse Eugène Hardon, ingénieur, et de Berthe Eugénie Marest, elle fut adoptée par Eugénie Steinmetz, épouse Hardon. A défaut d’épouser Philippe Pétain pour cause de refus de la famille, elle convola, en 1903, avec François Dehérain (1877-1962) interne des hôpitaux, et fils de l’agronome Pierre-Paul Déherain (1830-1902). Le couple eut un fils, Pierre, connu sous le nom de Pierre de Hérain. Divorcée, Eugénie devint la maîtresse de Philippe Pétain avant de d’exiger de devenir sa femme.
Célibataire endurci et chaud lapin, en plus de sa répulsion viscérale pour l’engagement, ce qui est ordinaire de nos jours ne l’était pas à l’époque : qu’un homme illustre d’envergure nationale puisse épouser une femme divorcée, sa maîtresse durant des années, voilà qui relevait de l’irrecevable. Personne ne voulait entendre parler de cette union et Pétain le savait très bien. Mais, la maîtresse n’était pas commode. Il céda.
Les précautions qu’il prit pour annoncer son mariage à ses amis témoignent de son appréhension quant à leurs réactions. Tandis que certains assuraient réserver bon accueil à la mariée, d’autres lui tournèrent le dos. Même le maréchal Foch s’en mêla en passant une violente avoinée à Fayolle témoin de Pétain. Le 14 septembre 1920: Eugénie et Philippe se mariaient discrètement à la mairie du 7e arrondissement de Paris en comité très restreint. Bref, la « Maréchale » fut accueillie avec raideur. Avec les années et les histoires d’héritage, la famille Pétain affecta de plus en plus de la tenir comme un pis-aller, voire un faux pas.
A l’usage, Eugénie, qui détestait son prénom, dorénavant « baptisée » Annie, participa fort peu aux cérémonies officielles et aux réceptions. Pétain voyageait beaucoup et séjournait plutôt à Paris pour son travail. Madame, elle, était sans cesse en déplacement chez des amis, à la campagne ou à l’étranger. Cette séparation physique, qui par ailleurs ne signifie pas mésentente, est illustrée par deux appartements distincts, boulevard des Invalides reliés par une porte de communication. Jusqu’en 1940, on ne peut pas vraiment dire que la maréchale était aux côtés de son mari. Si la passion était éteinte, la sympathie et des goûts communs restaient visibles.
En mars 1941, alors qu’il était chef de l’Etat, cédant à ses instances, après que Rome eût annulé le premier mariage, Pétain l’épousa religieusement à Paris en catimini et sans être présent. S’étant refusé à la confession, il se fit représenter !
Ne jouant aucun rôle politique, et ne cherchant pas en avoir, son seul poste officiel fut la présidence d’honneur du comité central de la Croix-Rouge. Selon l’un des plus proches collaborateurs de Pétain à Vichy, si elle n’aimait pas Laval, elle n’était pas insensible à sa propagande ni aux égards qu’il arrivait aux Allemands de lui prodiguer. Guère appréciée par l’entourage du maréchal, la belle plante avait bien changé : « formidable vieille dame aux épaules carrées au menton en galoche qui faisait songer à armoire à glace du siècle dernier », on la voyait en ville déambuler de sa démarche chaloupée.
Jalouse, et avec raison, elle ne pouvait s’empêcher de faire des scènes. Alors que la propagande pétainiste la décrivit comme une femme douce et dévouée, force est de constater, par l’ensemble des témoignages recueillis, qu’elle avait le caractère volontiers acariâtre.
Imbue de son rang, les directeurs de prisons où fut enfermé son mari après la guerre, ou simples gardiens, en parlent comme d’une « garce ». Même le curé de port-Joinville sur l’île d’Yeu rapporte qu’elle « n’était pas sociable, grossière et mal embouchée ».
Mais la Maréchale resta fidèle jusqu’au bout : dans l’exil forcé en Allemagne, durant le procès et la captivité à l’île d’Yeu. Elle fit des pieds et des mains pour le rejoindre. Malgré son agacement et leurs disputes de vieux couple, Pétain dit : « Actuellement elle est parfaite, jamais je ne l’aurais cru si bonne ».