Grâce à diverses mesures, et malgré bien des difficultés, il réussit à réduire le déficit abyssal du trésor. Mais ce déficit était encore si important qu’il l’empêcha d’essayer immédiatement la mise en place de son idée favorite, le remplacement des impôts indirects par une taxe sur l’immobilier.
A une époque où la charge fiscale reposait essentiellement sur l’agriculture, avec courage, il voulut mettre un terme à cette aberration en répartissant cette charge sur l’ensemble de la population, y compris la noblesse dont il s’attira la haine. Exit donc, l’idée d’un impôt sur le revenu qui aurait pourtant amélioré les recettes.
Considérant que les Parlements n’avaient aucune compétence en matière de législation, il s’opposa à leur intervention dans ce domaine. Et de s’attirer leur haine.
Partisan de la liberté d’entreprendre et de commercer, il fit adopter une loi visant à établir le libre-échange dans le domaine des grains avec la suppression du droit de hallage. Et, cette fois, de s’attirer la haine des spéculateurs dont des princes de sang.
Marie-Antoinette, à qui il avait refusé l’octroi de faveurs à ses favoris, ne l’aimait pas davantage. Et puis il y avait aussi les jaloux.
Malgré les virulentes attaques de ses nombreux ennemis, Turgot persévéra à vouloir bouleverser des lois fondamentales, mais dépassées, du royaume qu’il sentait pourtant en danger. Néanmoins, tant qu’il avait la confiance et l’appui du roi, il pouvait espérer mener à terme son projet de réforme.
Mais à prétendre trop révolutionner, l’ampleur de son plan finit par effrayer Louis XVI qui recula et lâcha son ministre qu’il accusait, dorénavant, de vouloir tout régenter. Il restait à Turgot à choisir entre une réforme superficielle du système existant et une réforme totale des privilèges. Eut-il fallu pour cela un ministre populaire et un roi fort. Ce n’était pas le cas.
Limogé en mai 1776, il quitta Versailles. Dans une dernière lettre qu’il adressa au roi, Turgot, visionnaire, écrivait : « N’oubliez jamais, Sire, que c’est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier* sur un billot…Je souhaite que le temps ne me justifie pas »…
*Charles Ier d’Angleterre
Par la suite, installé à Paris, il consacra sa fin de vie aux études scientifiques et littéraires.
Cet homme simple et droit, passionné de justice et de vérité n’était hélas pas diplomate. Si bien de ses réformes et de ses idées n’étaient pas de lui, il eut le mérite de les rendre publiques. Elles surent inspirer la Révolution qu’il ne vit pas. Il mourut de la goutte dans son hôtel de la rue de Lille à Paris.
Après ses funérailles en l’église Saint-Sulpice, il fut inhumé, sous une simple dalle, dans la chapelle Notre-Dame de l’hôpital des Incurables, où reposait déjà son père, et dont il avait été un généreux bienfaiteur, comme l'indique l'extrait des registres des actes de décès de la paroisse Saint-Sulpice de 1781 :
« Le 21 mars 1781, a été fait le convoi et ensuite transporté en l’église des Incurables rue de Sévre, le haut et puissant seigneur Mre Anne-Robert-Jacques TURGOT, chevalier seigneur et marquis de Laune, ministre d’État,ancien intendant de Limoges, ancien secrétaire d’État au département de la marine, ancien contrôleur général des finances et honoraire de l’Académie desInscriptions et Belles Lettres, décédé le 18 en son hôtel rue de Bourbon, âgé de près de 54 ans ».
Longtemps oublié, sa pierre tombale étant devenue indéchiffrable, l’emplacement de sa sépulture fut enfin retrouvé le 1er mars 1899. Ce jour-là, grâce à des indications précises, la commission du Vieux Paris fit procéder à des recherches dans la chapelle pour retrouver le l’emplacement de sa tombe située à gauche de l’autel, dans la chapelle dite de l'Ange gardien.
Sur l'un des cercueils on trouva cette épitaphe :
Ci-git
Très haut et puissant seigneur
Anne Robert Jacques Turgot, chevalier
Marquis de Laune, Ministre d’Etat
Ancien contrôleur général des Finances
Né le 10 may 1727 et décédé le 18 mars 1781
Requiescat in Pace
Après que l’acte de cette découverte eut été donné officiellement au conseil municipal de Paris, celui-ci s’entendit avec la famille pour la ré-inhumation des corps au même endroit.
** Au 16ème siècle, les Turgot se divisèrent en deux branches: l'aînée, celle des Turgot de Tourailles, qui disparut en 1753, et la cadette, les Turgot de Saint-Clair. Notre ministre appartenait lui à une troisème, les Turgot de Sousmont.