Originaire de la région napolitaine, en 1804, Giuseppe reprit un café-pâtisserie situé à l’angle du boulevard des Italiens et de la rue Taitbout qu’il dota d’un billard au premier étage. Mais sa gloire, il la doit à un dessert qui fait encore saliver : la glace napolitaine qui porte son nom, patronyme aujourd'hui décliné en mousse au moka et desserts de tous poils.
Son établissement devint rapidement le haut lieu des grands noms de la littérature, des arts, et de l’aristocratie. Sous le premier Empire, son habileté comme cuisinier avait fait de son établissement un centre où anciens terroristes, royalistes, jacobins, bonapartistes, femmes du monde et demi-mondaines accouraient pour apprécier les sauces du célèbre cuisinier. Pour prendre ou à répandre un secret, il fallait aller chez Tortoni, centre de ce monde de l'opinion dont la circonférence n'est nulle part. Et si Paris était la capitale de la France, le café Tortoni était la capitale de Paris.
Un jour, le préfet de police le convoqua pour lui signifier qu’un de ses clients avait parlé en termes douteux de l’Empereur et le menaça de fermer son café s’il ne le dénonçait pas. Dans ce public si nombreux comment trouver l’auteur des propos séditieux ? Giuseppe se voyait perdu quand il eut une idée. Tous les matins, un homme entrait dans l’établissement, lisait son journal en buvant un verre d’eau et partait sans payer. Un aussi mauvais consommateur ne pouvait qu’être le coupable …qu’il s’empressa de dénoncer. Le procédé peu louable le sauva et le débarrassa d’un client sans valeur.
Comme Vatel, il se suicida. Cet homme gai et railleur se brûla la cervelle mais le café resta en vogue sous la Restauration, Louis-Philippe et Napoléon III. Alors que le soir, après l’Opéra, les plus beaux équipages se bousculaient devant l’établissement, la journée Tortoni profitait de l’effervescence de la Bourse toute proche. Talleyrand, le comte d’Orsay, Barbey d’Aurevilly, Edouard Manet, Adolphe Thiers, Bismarck, James Gordon Bennet Jr, fondateur de l’International Herald Tribune, et bien d’autres comptèrent parmi sa clientèle de célébrités. Honoré de Balzac le cite souvent dans les romans de la Comédie humaine. Stendhal parle de la salle de billard de Tortoni dans Le Rouge et le Noir. Marcel Proust l’évoque plusieurs fois dans À la recherche du temps perdu et Maupassant le cite également dans sa nouvelle: Un lâche.