Le procès de la marquise de Brinvilliers n’était que le hors-d’œuvre de l’affaire des poisons. Il révéla le plat de résistance : l'existence à Paris d'un réseau de marchands de poisons, dont l'ampleur dépassait les plus mauvaises fictions. De nombreuses empoisonneuses, procurant à qui voulait de la
« poudre de succession » -ou d'en employer concurremment avec des rites de sorcellerie-, devineresses, avorteuses, magiciens, prêtres sacrilèges, apprentis alchimistes ou charlatans, escrocs de tous poils, l’« Affaire des poisons » ne se réduisait pas à un ensemble de faits divers crapuleux. Via un vaste réseau aux multiples ramifications, elle associait la politique au crime. Toutes les strates de la société s'y trouvaient compromises, jusqu'au très proche entourage du roi. Histoire hors norme, sur fond de querelles politiques entre Colbert et Louvois, elle vit plus de 400 accusés, dont de hauts personnages de la cour, portés devant une chambre spécialement créée par le roi, la Chambre ardente.
Créée en 1679, la Chambre ardente, suspendue momentanément d’octobre 1680 à mai 1681, le fut définitivement en 1682.
Comment un nombre d’empoisonneurs échappa à la peine de la mort pour une réclusion à perpétuité.
L’exécution de la Voisin ne marqua pas la fin de l’affaire, bien au contraire. Sa fille, Marie-Marguerite Voisin, n’ayant plus à protéger sa mère, alla trouver La Reynie pour impliquer Madame de Montespan, sur laquelle elle s'acharna à apporter de nouvelles prétendues précisions sur de soi-disant nouveaux crimes. Dès les premiers bruits concernant la favorite, le roi réagit en interdisant aux magistrats d’utiliser des registres pour les interrogatoires et leur enjoint de recourir aux feuilles volantes rassemblés dans une cassette scellée et conservée par Louis XIV. Peu après, il demanda à la Chambre ardente de ne plus s’occuper des affaires où le nom de Madame de Montespan apparaissait, et fit suspendre la Chambre d’octobre 1680 à mai 1681, puis définitivement en juillet 1682.
En trois ans la Chambre ardente décréta sur le sort de 442 accusés : 210 séances, 319 arrestations (125 inculpés en fuite ne furent pas arrêtés), 104 jugements dont 30 acquittements, 34 bannissements du royaume ou amendes et 4 condamnations aux galères, et 36 peines de mort (pendaison, supplice de la roue, décapitation, étranglement, ou bûcher).
Il restait à en finir vraiment. En l’absence de la Chambre ardente, on ne pouvait condamner à mort ceux qui croupissaient encore à la Bastille ou au château de Vincennes. Le 15 décembre 1682, malgré le lourd passé criminel de certains, ils furent expédiés dans des forteresses aux quatre coins du royaume, sans jugement, sur une simple lettre de cachet. Il fallait faire disparaître définitivement de l’humanité, ces personnes , surtout des femmes, susceptibles de tenir des propos compromettants, notamment sur Mme de Montespan. Afin qu’on ne les entende pas du dehors, Louvois pria les commandants et geôliers des forts de les renfermer dans des lieux isolés. Au regard du terrible sort qui les attendait, la mort eut probablement été préférable. A une exception connue (Rabel), et une évasion (?), tous les prisonniers y finirent leurs jours dans des conditions atroces, les pieds enchaînés à la muraille, sans chandelle ni bois pendant l’hiver, usant pendant des années les mêmes haillons couverts de vermine.
L’enchevêtrement des relations entre chaque personnage et les faits est d’une telle complexité qu’il est souvent difficile d’éviter redites dans les mini-biographies . Par ailleurs, la lecture de nombreux documents et ouvrages établit quelques confusions ou contradictions parfois due à une homonymie, un manque de sources fiables, etc. Le patronyme de certains protagonistes peut être aléatoire, voire totalement transformé, d’un document à l’autre. Beaucoup de prénoms manquent. Enfin, pour un travail plus pointilleux et précis, il faudrait consulter les dossiers des prévenus conservés à la bibliothèque de l’Arsenal (Paris). Cet article n’ayant pas vocation d’un ouvrage détaillé sur l’affaire des poisons, j’ai essayé de démêler au mieux de mes moyens les implications et le sort des principaux concernés…
Parmi les condamnations à mort :
Si la menace de la peine capitale plana sur la tête de quelques femmes de condition, il n'était pas question de défier le parlement et la noblesse de robe. Celle-ci se transforma en banissement ou en un enfermement dans un couvent. Seuls les condamnés à mort subirent la torture
►BARENTON Nicole et Mathurin († septembre 1681)
►BARTHOMINAT Jean, dit La Chaboissière (v.1642 – 16 juillet 1682) Valet de Vanens et son empoisonneur attitré, embastillé en novembre 1677, il fut le dernier exécuté de l’affaire. ►BELLOT (BELOT) François († 10 juin 1679) Ancien chevau-léger de la garde, il s’était spécialisé dans l’accommodement des écuelles et tasses d’argent avec des crapauds gavés d’arsenic. Etranglé et exposé sur la roue place de Grève.
►BOUFFET Marie († décembre 1681) avorteur, associé de Marguerite Joly. Pendue et corps probablement brûlé.
►CARADA Anne de († 25 juin 1681). client de Deschaux et Debray
►CHANFRAIN († 20 juin 1681). maîtresse de Guibourg.Pendue et corps probablement brûlé. ►CHÉRON Anne († 20 juin 1679) . Fruitière, blanchisseuse, fabricante de poisons, arrêtée en mars 1679. Par une grâce particulière de la Chambre ardente, elle fut étranglée (retentum) avant d'être brûlée.
►COTTON Jacques († 1680) Officier des messes noires. Brûlé vif
►DEBRAY Etienne († septembre 1681) Berger et ancien galérien, chercheur de trésors et fournisseur de poisons.
►DESCHAULT († 20 juin 1681) berger, magicien, empoisonneur, principal complice de Guibourg. Brûlé vif ►DESLOGES Louison († décembre 1681) associée de Marguerite Joly. Pendue, puis corps probablement brûlé.
►DURAND († 14 juillet 1679) Cordonnière qui empoisonna son mari
►FERRY Mme († mai 1679) Cliente de la Voisin
►JOLY Marguerite (1637 - 19 décembre 1681) Sybille (prophétesse), très habile empoisonneuse et avorteuse, elle affirma avoir connaissance de sacrifices de nourrissons lors des messes noires. Témoin vedette contre Françoise de Dreux qu’elle accusait d’assassinats et de tentatives par empoisonnement, elle eut la satisfaction de voir celle-ci déclarée coupable. Sur l'appel de son mari et de son amant, Françoise de Dreux en fuite, fut épargnée de toute punition pour ses crimes. Brûlée vive.
►LA GRANGE
►LACHABOISSIÈRE († 16 juillet 1682) Ancien valet de Vanens et son empoisonneur attitré, il fut le dernier à être exécuté avant la dissolution de la Chambre ardente quelques jours plus tard. ►LEPÈRE Catherine (†12 août 1679) Ancienne sage-femme, avorteuse, principale sous-traitante d’un réseau d’avortements de La Voisin. Au regard de son âge, soixante-dix-hui ans, on lui épargna la question. Pendue ►LEROUX († 5 avril 1680) Sous-traitante de la Voisin, arrêtée en août 1679.Pendue et corps probablement brûlé.
►MAILLARD Jean († février 1682) Auditeur à la Chambre des comptes, client, il était le principal accusé dans le complot du chevalier de la Brosse (?).
►MÉLINE († 14 janvier 1682) Complice de la Joly. Pendue et corps probablement brûlé.
►MOREAU Christophe († septembre 1681) Berger, magicien et empoisonneur
►NAIL Léonard (v. 1627 - 8 février 1679)
Curé de Launay-Villiers, ce petit homme insignifiant, malingre et grisonnant, amant de Madeleine La Grange, se révéla être un bel escroc. Enfermé dans la prison de l’Officialité, derrière Notre Dame, il fut pendu.
►PHILBERT Catherine (10 juin 1679) Elle empoisonna son premier mari, Brunet, avec une chemise imprégnée d’arsenic pour épouser Philibert Rebillé, dit Philbert, crédité de l'introduction de la flûte à une clé en France. Avant son exécution, on lui coupa le poing. Pendue
►POLIGNY Anne († juillet 1681)
►POTTERAU († 13 juillet 1681) Pour se débarrasser de son mari, elle avait contacté plusieurs sorcières. Pendue.
►SANDOSME Denise († juillet 1681) empoisonneuse. Pendue et corps probablement brûlé.
►VINEUSE. Elle se vit amputée d’un bras vers le poteau où elle était enchaînée, avant d’être brûlée vive..
►LA DODÉE ((† 1679) Compagne de La Trianon, elle se suicida à Vincennes en se coupant la gorge. Son inhumation se fit nuitamment et en grand secret dans un cimetière.
►MARIETTE François († 1680) abbé. Mort en prison
►TRIANON Catherine († début 1681) Compagne de la Dodée, empoisonneuse, l’une des principales complices de la Voisin. Arrêtée avec la Dodée, elle se suicida en prison.
Les citadelles ou forteresses
Malheureusement, par manque d’archives ou de moyens de recherche, les informations sur les détenus des six forteresses où ils furent expédiés, entre 1679 et début 1683, sont inexistantes ou parcellaires, notamment pour les dates de décès et le lieu de sépulture. La citadelle de Belle-Île a pu me fournir la liste des prisonnières, mais seule la citadelle de Besançon a pu me renseigner plus précisément.
Tous ne restèrent pas dans leur prison d'origine. Des transferts d’une geôle à une autre eurent lieu par la suite. Par exemple, on note plusieurs arrivées à la citadelle de Besançon en 1691. Avec le temps, les avis de décès se firent de plus en plus rares, puis les survivants n’intéressèrent plus personne.