Son père mort, sa mère outrée par la conduite de sa fille « défroquée », elle vint donc à Paris où elle retrouva son frère Pierre, abbé, venu à la capitale intriguer pour de plus hautes charges et de plus opulents bénéfices. Désormais, ils eurent partie liée.
Enfin relevée de ses vœux, la nature lui ayant accordé des dons de séduction et un esprit aussi fin que délicat, malgré son peu d’expérience du monde, par la vivacité de son esprit, l’humour de ses réparties, et une surprenante faculté d’adaptation, elle sut conquérir les hôtes du salon de sa sœur, la comtesse d’Argental. Rattrapant le temps perdu , elle courait les grandes soirées. En 1717, elle ouvrit un des salons les plus réputés de l’époque. Appelé « le bureau d’esprit », ce salon fut d’abord essentiellement consacré à la politique et à la finance avec les spéculateurs de la banque de Law. En 1733, il évolua pour devenir un centre littéraire et philosophique de premier plan. Les plus grands écrivains du moment le fréquentèrent : Fontenelle, Marivaux, l’abbé Prévost, Marmontel ou Montesquieu. Elle-même publia quelques romans, notamment Mémoires du comte de Comminge (1735) et Le Siège de Calais, nouvelle historique (1739) édités anonymement et qui connurent un succès aussi vif qu’immédiat. Jugés dignes d’être placés au nombre des chefs-d’œuvre de la littérature féminine du temps, ces deux ouvrages participèrent aux lauriers de leur auteure jusqu’à fin du 19e siècle.
A ces dons de politique, il convient d’ajouter ceux d’affairiste : tous les moyens lui furent bons pour accroître sa fortune.
A son goût immodéré pour le pouvoir, il convient d’associer celui prononcé pour la galanterie. On a beau prêter qu’aux riches et se méfier de la rumeur, le cardinal Dubois, le Régent, le comte d’Argenson et son fils, Lord Bolingbroke, Matthew Prior, etc., furent manifestement de ses amants.
De ses amours passagères, dont on ne peut affirmer avec qui (chevalier Destouches-Canon, le duc d'Arenberg ?), naquit le futur D'Alembert qu’elle abandonna le lendemain de sa naissance sur les marches de l’église Saint-Jean-le-Rond. S’il se trouve fort peu de gens au 18e siècle pour critiquer ses ouvrages ou son salon, il est frappant de constater à quel point ses intrigues sentimentales, affairistes, religieuses ou politiques soulevèrent par contre l’indignation générale de l’époque.
Après avoir connu la vie à outrance et l’activité des sens, savouré dans les intrigues de Versailles les délices des victoires secrètes et parfois l’angoisse qu’éveillait la découvertes de cabales, elle se sentit vieillir. Vint alors le temps de l’apaisement. Peu à peu, la considération et le respect s’étaient amassés autour de cette amazone qui sut se forger une image de respectabilité en se faisant passer pour une « Mère de l’Église ». Elle vieillit et s’usa tout doucement, entourée de ses adorateurs, qui lui disaient en prose et en vers :
Vis donc heureuse,
Et vis longtemps, nymphe adorée.
Elle ne devait pas réaliser ces espérances. Devenue impotente, sa parole rendue difficile, elle passait des après-dînées silencieuses à jouer au quadrille avec des amis fidèles. Plusieurs fois, on la crut mourante avant qu’elle ne le soit vraiment après avoir fait de sa vie un chef-d'œuvre de dissimulation et d'intelligence.
Les affiches de Paris du 8 décembre signalèrent l’inhumation en l’église Saint-Eustache de « dame Alexandrine de Guérin de Tencin, chanoinesse de Neuville, baronne de Saint-Martin de l’île de Ré, décédée rue Vivienne, âgée de 68 ans. » Toute trace de sa sépulture a disparu. Ses ossements pourraient peut-être se trouver dans l’ossuaire du lieu. Allez savoir…