Depuis leur plus tendre enfance une sombre rivalité opposait Louis XVI et Louis Stanislas Xavier, comte de Provence, l’enfant tant chéri de ses parents. Ce dernier, dès l’avènement de son aîné, persuadé de sa supériorité intellectuelle, avait caressé l’idée qu’il gouvernerait pendant que Louis règnerait. Espoir vite ravalé car Louis ne l’associa au pouvoir, à titre consultatif, qu’en 1789. Au mépris qu’il lui vouait, Provence rajouta la rancune. Sachant soigner son image en jouant au prince éclairé d’un côté, mais ne cessant de contester l’autorité du roi et de son épouse de l’autre, le comte de Provence n’avait pas arrangé la situation du couple royal. « Tête plutôt bien que bien faite », usant et abusant des privilèges de son rang, il était resté singulièrement aveugle aux réalités de la Révolution.
Néanmoins, s’étant montré plus modéré dans ses prises de positions que son cadet, le comte d’Artois (futur Charles X), Louis Stanislas conservait encore un peu de sa popularité, suffisemment pour espérer tirer ses marrons du feu de la situation. C’est là qu’intervint le complot dit du marquis de Favras qui contraignit Provence à une attitude beaucoup plus discrète jusqu’à ce que, sentant de plus en plus la précarité de sa condition, il organisât sa fuite quelques jours avant celle du couple royal. Son entreprise ayant eut plus de chance que celle du roi arrêté à Varennes, Louis Stanislas, de son exil, jouait au chef d’Etat en attendant de pouvoir s’octroyer le titre de régent ! Bref, son bonheur suivait la colonne mercure des malheurs de son frère !
Réfugié à Coblence auprès de son oncle l’archevêque Clément-Wencelas, ses tractations avec la contre-révolution inquiètaient la France. Mais, sourd aux appels de Louis XVI et de l’Assemblée législative qui le sommaient de rentrer en France, Provence attendait que les évènements tournâssent enfin en sa faveur grâce à la guerre que les coalisés perdirent.
Impopulaire auprès des émigrés et de plusieurs souverains, la régence s’éloignant de nouveau, Provence quitta Coblence pour Ham où il apprit la mort de Louis XVI puis celle de Marie-Antoinette. La régence enfin ? Toujours pas. A l’exception d’une petite cour de fidèles regroupée à Turin chez son beau-père où il séjournait, les Grands de cette Europe en guerre l’ignoraient avec superbe. Mais, son neveu, Louis XVII mourut. A Provence le titre de roi sous le nom de Louis XVIII le 8 juin 1795 que les souverains européens lui reconnurent malgré leur réticence. Toujours optimiste sur le sujet, Louis Stanislas attendait cette fois son royaume. Pendant ce temps à Paris, les évènements se succèdaient sans lui laisser la moindre chance. Alors commença une véritable vie d’errance pour ce roi sans couronne ni royaume qui encombrait d’autant plus que le temps passant, plus personne ne croyait en sa restauration. Louis XVIII était donc forcé de se contenter de la charité ou libéralités de ceux qui dégnaient lui accorder asile.
Travaillant à son hypothétique rôle de roi, s’impatientant, se morfondant, Louis XVIII dut attendre qu’on en finisse avec « l’Ogre » Napoléon. Ce qui prit quatorze ans. Depuis fin 1807, c’était de l’Angleterre qu’il scrutait son avenir qui, en cette année 1813, dépendait d’une défaite française contre les coalisés. Le 19 octobre, Napoléon était vaincu à Leipztig et Louis XVIII exultait de joie. Le temps de finir la guerre, de l’obliger à abdiquer et c’était le sceptre.
Toutefois, bien que depuis un peu plus de vingt-deux ans il embarrassât toutes les cours d’Europe à courir après « son » trône, la chose n’était pas acquise. En effet, il n’était pas évident que cet homme impopulaire reçoive sans problème l’agrément des Français. D’ailleurs voulaient-ils seulement d’un roi ? Les clameurs pro-royalistes étaient encore bien faibles. Aussi l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse envisagèrent-elles d’autres possibilités. Mais le redouté Talleyrand veillait au grain. Se faisant le « champion de la légitimité » il sut convaincre. Le 6 avril 1814, le Sénat appelait Louis XVIII à venir prendre possession de son trône…à condition qu’il respectât la Constitution.
Se souvenant d’Henri IV qui avait bien sacrifié à une messe, Louis XVIII ravalant sa rage et faisant bonne figure débarqua en France le 24 avril. Retrouvailles émouvantes pour certains, interrogations pour d’autres face à ce Bourbon, plus très jeune, obèse, presque impotent mais sensé représenter le « gouvernement naturel » de la France. Passant rapidement aux choses sérieuses, le nouveau roi, bien que peu adapté à la situation explosive qui se présentait, va tenter de réconcilier les Francçais qui s’opposent ! Pêle-mêle, il y avait les anciens révolutionnaires, les déjà nostalgiques de l’Empire, les bourgeois affairistes plutôt libéraux, les royalistes modérés, les ultras revenus d’émigration avec le roi et dont la seule volonté était de rétablir une France disparue depuis vingt-cinq ans, le petit peuple toujours voué aux caprices des autres mais qui a goûté à la liberté (tout du moins aime-t-il le croire), etc.
Les intérêts des uns n’étant pas pour autant ceux de tous, la Charte du 4 juin 1814, base du nouveau régime constitutionnel, fut donc être épluchée par chacun pour y trouver son avantage. Pour cette réconciliation, Louis XVIII promit un régime constitutionnel qui se basa sur la Charte du 4 juin 1814. Charte qui en fait limitait à peine le pouvoir royal et dans laquelle les principes fondamentaux de conservatisme et de libéralisme vont d’autant faire « mal ménage » que la pratique politique l'emporta rapidement sur les textes.
De surcroît, excepté Talleyrand, son ministère disparate au possible n’étant composé que d’incompétents, ses décisions ne tardèrent pas à exaspérer une opposition grandissante.C’est ce moment que Napoléon choisit pour faire un retour fracassant. Suivi par les nostalgiques de l’Empire, épaulé par de grands militaires, l’Empereur déchu remontait le cours du temps à grands pas. Les Cent-jours étaient en marche accélérée. Et Louis XVIII de retrouver les chemins de l’exil jusqu’à Gand. Waterloo avait englouti à jamais la tentative de Napoléon. Hélas, prenant prétexte de le chasser, d’assurer leur tranquillité aux frontières françaises et de faire payer la France pour leurs dommages de guerres, les Alliés s’installèrent pour un peu plus de trois ans.
Reprenant son trône le 8 juillet 1815 grâce à eux (et aussi à Talleyrand et à Fouché), on dit que Louis XVIII rentra avec « les fourgons de l’ennemi ». L’agitation régnait un peu partout et particulièrement dans le Midi où la Terreur Blanche, menée par les ultra-royalistes, déferla sur les bonapartistes et autres « mauvais » sujets : l’exil sur les Conventionnels régicides, l’exil ou la mort pour ceux qui avaient par trop facilier le retour de l’Empereur à qui pourtant le roi avait promis le pardon et l’oubli.
Celui-ci, bien qu’exécrant ce règlement de compte, n’arrivait pas encore à se défaire de la pression des ultras à commencer par celle de son frère et de sa nièce, laissa faire la mort dans l’âme. Mais il allait se ressaisir d’abord en choisissant l’intelligent et modéré duc de Richelieu comme chef de son ministère à qui succéda Elie Decazes. On ne pouvait pas trouver défi plus épineux que celui que Decazes devait relever. Il s’agissait tout simplement de faire fléchir le roi vers une politique radicalement opposée à celle de son entourage ! Politique menée de surcroît par un homme étranger à leur milieu: un arriviste, un moins que rien ! Et les ultras de s’étrangler car Louis, vouant un véritable amour à ce « fils » que la nature ne lui avait pas donné et qui remplaçait dans son cœur son favori Blacas, s’appliqua à le soutenir malgré tous les bâtons qu’on mettait dans les roues de son cher ministre.
Hélas pour Decazes et surtout par la France la nuit du 13 février 1820 allait ruiner tous ces efforts, car cette nuit là, le duc de Berry était assassiné. Pour les ultras, pas de doute, la responsabilité de cette mort incombait à la politique laxiste de Decazes. Face aux menaces, pour sauver sa vie, il quitta Paris. C’était le triomphe des ultras. Bien qu’illusoire, ce succès fut suffisant pour que le roi, profondément affecté du départ de Decazes et dont la santé déclinait, manquât de force pour empêcher Artois et les ultras de régner. La France sombre alors dans les conspirations fomentées par les sociétés secrètes, les attentats et les luttes fraticides dont elle ne se sortira qu’avec une seconde révolution.
Parmi ses nombreux défauts, la gourmandise n’étant pas le moindre, dès son plus jeune âge Louis avait développé un embonpoint lui provoquant de mauvaises crises de goutte qui s’aggravèrent avec le temps. Maintenant, épuisé par tant de luttes, il avait d’autant plus le moral « dans les chaussettes » qu’une gangrène infectieuse lui rongeant ses deux pieds : il avait vu tomber quelques-uns de ses orteils en retirant son bas ! On imagine les mille morts que la douleur lui fit éprouver. Malgré cela, fidèle aux grands principes des souverains de France, se refusant à être le « roi fauteuil » il ne s’était alité que pour quitter ce monde après une longue agonie. Mais ce sceptique que sa maîtresse, Mme de Cayla, avait réussi à faire communier dans ses derniers instants devait, bien malgré lui, continuer à maintenir une certaine distance avec la religion.
A cause d’une dispute de prérogative entre son aumônier et l’évêque de Paris, aucun membre du clergé ne suivit son convoi funèbre jusqu’à la basilique Saint-Denis. D’ailleurs, contrairement à l’usage funéraire de l’ancien régime avec lequel on renouait au plus grand étonnement des contemporains, sa dépouille alla directement à Saint-Denis sans passer par le traditionnel arrêt à Notre-Dame. A Saint-Denis, accompagnée par le Requiem en Ut qu’écrivit Cherubini pour cette occasion, la dépouille de Louis XVIII fut inhumée près de celles de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Le peuple ne le pleura pas.
Depuis le réaménagement de la crypte des Bourbons dans les années 1970, à l'identique des cinq autres tombes, une pierre tombale sobre en marbre noir indique sa sépulture.