Mais parlons net. Aussi charmante pouvait-elle être, depuis longtemps la France reluquait la Bretagne dont Anne était le chef incontesté depuis la mort de son père en 1488. Pour se préserver de la convoitise française, elle avait obtenu plusieurs alliances en se fiançant à autant de princes d’Europe que la perspective de joindre le duché à leur domaine réjouissait par avance.
En 1490, Anne avait épousé par procuration Maximilien de Habsbourg. Inacceptable pour Charles VIII qui voyait son royaume prit en tenailles par l’ennemi. Après d’âpres négociations et le siège de la ville de Nantes, il fit annuler le mariage et épousa la « mariée » en 1491. La naissance d’un fils, Charles-Orland lui valut de la considération et un bel avantage sur sa belle-sœur, Anne de Beaujeu, qui la détestait. Affirmant son goût du luxe et du raffinement, poètes et érudits fréquentèrent le Louvre. Mais bientôt les nuages s’amoncelèrent : les naissances se succédèrent sans qu’aucun des enfants ne dépassa l’âge de trois ans. Charles VIII mourut sans héritier.
Selon le contrat établi avec Charles VIII, Anne devait épouser le successeur du roi défunt : Anne restait titulaire du duché qui, à sa mort, reviendrait à l’héritier de la couronne de France. Si le couple n’avait pas d’enfant, les époux se faisaient don mutuel de leurs droits respectifs : si Anne mourait la première, Charles devenait duc. Si Charles mourait en premier, elle restait souveraine et ne pouvait se remarier qu’avec le nouveau roi. Ainsi la Bretagne restait-elle française.
Louis d’Orléans, devenu Louis XII, marié à Jeanne de France, s’employa alors avec force à se débarrasser de sa femme et pour cause : si au terme d’une année le mariage n’était pas annulé, la Bretagne retrouverait toute sa liberté. L’annulation eut lieu dans les délais. Anne et Louis XII convolèrent et pour la seconde fois, Anne fut couronnée reine de France. Une fois de plus elle avait bien manœuvré et conservait la pleine jouissance de son duché.
Malgré ses réticences, Louis XII ne résista pas à l’appel de l’Italie. Durant l’absence du roi, Anne s’activa à développer et à enrichir la Bretagne et mit au monde une fille, Claude de France. Mais la gestion du quotidien n’excluant pas le rêve, Anne, sans doute influencée par les équipées italiennes de ses deux maris, se découvrit une âme de libératrice. Elle voulait conquérir la Grèce, puis Constantinople d’où seraient chassés les Turcs ! L’opération tourna court et, Anne, déçue, se replia sur les affaires de famille en cherchant à marier sa fille. Pendant ce temps, le royaume n’avait toujours pas d’héritier au grand plaisir de Louise de Savoie qui voyait déjà son fils, François d’Angoulême, assis sur le trône.
Au péril de sa santé, Anne multiplia les grossesses mais aucun mâle de survécut. Louis XII étant malade, le couple dut se résigner. Plus grave à ses yeux, le roi venait d’annuler le premier mariage de Claude avec le futur Charles Quint pour la destiner à François d’Angoulême. En cas de régence, Anne conserverait le pouvoir mais surveillée par Louise de Savoie ! Malgré ses douleurs et épuisée par ses dernières couches, la reine lutta pour obtenir l’abrogation de ces fiançailles. En vain. La maladie empira et Anne décéda. Avec elle disparaissait dans la tombe l’espérance d’une Bretagne libre de déterminer son destin. Louis XII lui réserva de splendides funérailles.