Son oncle, Alphonse Borgia, l’avait déjà brillamment précédé dans la carrière ecclésiastique. Pratiquant le népotisme, il appela auprès de lui ses neveux, Luís Juan et notre fameux Rodrigo. Dès leur arrivée, les deux jeunes gens furent immergés dans un environnement princier. Rodrigo, profitant des avancements inouïs que lui conférait son oncle, devenu pape sous le nom de Calixte III à la mort de Nicolas V, n’avait plus qu’à agir en attendant de voir son pied passé de l’étrier pontifical aux vrais chaussons de saint Pierre.
Pauvre saint Pierre qui depuis des siècles avait déjà assisté à tant d’affligeantes conceptions de son apostolat et qui ne trouva guère de consolation en Alexandre VI !
Sans réhabiliter totalement le personnage, il serait toutefois injuste d’omettre sa foi réelle, sa générosité de mécène, sa protection d’artistes, comme Michel Ange, et ses grandes capacités à remettre en ordre l'administration de l'église.
Les règnes de son oncle, de Pie II dont il devint le vice-chancelier, de Sixte IV qu’il couronna en sa qualité de doyen des cardinaux-diacres et enfin d’Innocent VIII, vont passer avant que Rodrigo ne succédât à ce dernier.
Rodrigo Borgia devint Alexandre VI. Sa fortune étant faite, il l’étala par un luxe ostentatoire et s’occupa de sa progéniture.
Intelligent et habile, Rodrigo présentait un physique avenant lui permettant de collectionner les conquêtes féminines. Ce qui nous choque aujourd’hui, n’offusquait pas autant à l’époque où les vœux de célibat étaient régulièrement bafoués. Néanmoins, jusqu’à présent notre ambitieux avait l’excuse de ne pas les avoir encore formulés. C’est donc un peu du bout des lèvres qu’il les prononça ce qui, une fois fait, ne l’empêcha pas de s’installer avec une riche romaine, propriétaire d’auberges : Vannozza Caetani qui fut la mère de sa célèbre progéniture.
Comme Rodrigo aimait à semer le plus naturellement du monde, mais fort peu apostoliquement, des enfants venus d’autres lits vinrent agrandir le cercle familial. A défaut de tous rentrer dans la grande histoire, tout ce petit monde fut très avantageusement doté ou marié.
Pape, Alexandre dut faire face à bien des préoccupations dont son fils César n’était pas des moindres. Il y eut l’invasion de Rome par les Français menés par Charles VIII, le meurtre de son fils Juan qui le glaça d’horreur, les débauches romaines condamnées par Savonarole qu’il fit exécuter, de nouveau les campagnes françaises avec Louis XII, les guerres en Italie menées par César et les morts subites de ceux qui dérangeaient le père et le fils. Enfin, il y eut l’âge qui le rattrapa avec son lot de méchants tracas.
Le fringuant jeune homme avait depuis longtemps cédé la place à un homme bouffi par l’embonpoint. Alexandre était de plus en plus souvent victime de syncopes. Le 5 août 1503 avec César, il se rendit à un dîner chez le cardinal de Corneto. Une semaine plus tard, il fut pris d’une forte fièvre et de vomissements. Sentant sa dernière heure arrivée il se confessa et mourut.
Alors une question se posa. Le pape avait-il été empoisonné ? La réponse est catégoriquement non. Malgré toutes les suppositions, y compris les plus fantaisistes, on peut penser que les convives de ce dîner qui furent tous plus ou moins malades, furent atteints « d’une épidémie de malaria, associée sans doute à l’indigestion de plats mal préparés » ou avariés.
Cependant, la chaleur régnante accélérait la décomposition du corps qui offrit rapidement un spectacle effrayant et une telle répugnance que personne n’osait le toucher. Aussi décida-t-on de l’enterrer de suite. On le traîna plus qu’on ne le porta jusqu’à la chapelle Notre-Dame-des-Fièvres ou rotonde Saint-André, près de son gendre assassiné, Alphonse d’Aragon.
Mais son corps, trop volumineux, se refusant à rentrer dans le cercueil, voilà que les porteurs, après lui avoir retiré sa mitre qui gênait les opérations, lui frappèrent le ventre pour le tasser ! Quelle singulière inhumation où « Pas un cierge n’est allumé, aucun prêtre n’assiste à ce barbare ensevelissement » pour celui qui fut davantage souverain temporel que bon pasteur.
La chapelle médiévale Notre-Dame-des-Fièvres ou rotonde Saint-André disparut entre 1776 et 1784 lors de l’agrandissement de la sacristie de la basilique. Sa dépouille mortelle fut alors transférée en 1610 dans la première chapelle San Diego de l’église de la colonie espagnole de Rome, Santa Maria di Monserato. Depuis 1889, ses restes et ceux de son oncle Calixte III reposent dans un tombeau commun réalisé par Felipe Moratilla à cette date.
Dans cette chapelle se trouve aussi le cénotaphe du roi d’Espagne Alphonse XIII dont la dépouille fut transférée à l’Escurial de Madrid en 1980.