Marie de Clèves, marquise d’Isle, comtesse de Beaufort, était la cadette des trois filles de François de Clèves, duc de Nevers, et de Marguerite de Bourbon-Vendôme, elle-même sœur du défunt roi de Navarre, Antoine de Bourbon. Par conséquent, Marie était la nièce par alliance de Jeanne d’Albret auprès de qui elle fut élevée mais dans la foi catholique.
De son côté, Catherine de Médicis souhaitait établir des mariages mixtes, catholiques et huguenots, qui s’inscrivaient dans sa politique du moment. Elle persuada Jeanne d’Albret d’unir d’une part, sa fille Marguerite de Valois à Henri de Navarre et, d’autre part, Marie de Clèves au prince Henri de Condé. Marie vint à la Cour. Elle avait dix-neuf ans. Sa fraîcheur et sa candeur contrastaient tellement avec les fards et minauderies des demoiselles de la cour qu’elle suscita de suite un vif intérêt auprès des hommes et plus particulièrement celui d’Henri. Henri si beau, si charmeur alors que le fiancé de Marie était laid et gourmé. Henri qui savait si bien parler aux femmes et dont les succès d’alcôves avaient prouvé son irrésistible séduction. Pour restreindre les velléités de complots, Catherine de Médicis avait transformé la Cour en un véritable lieu de divertissements sensé contenir l’énergie de la noblesse séditieuse.
Au sein de cette Cour insolente à l’atmosphère électrique, Marie semblait un ange de tendresse. Henri ne résista pas. Marie non plus. Pour certains cette relation ne fut que platonique. Au regard de la détermination que mit Henri à empêcher le mariage de Marie avec Condé et de celle qu’il déploya pour tenter de l’épouser, le doute est permis.
Malheureusement, Henri ouvrit son cœur à sa mère et lui demanda d’intervenir. Devant tant de ferveur, Catherine fut anéantie. Son fils chéri, pour qui elle avait tant œuvré n’aurait cure de tout cet acharnement maternel pour cette femme ? Jamais ! Tout en faisant mine de le consoler, elle activa le mariage de Marie et de Condé qui eut lieu le 10 août 1572 soit quelques jours avant celui de Marguerite et d’Henri de Navarre…et de la Saint-Barthélemy.
Ne se résignant pas, grâce à diverses complicités, les tourtereaux continuèrent à se voir en secret. Il y eut une première séparation durant laquelle Henri partit combattre les Huguenots à la Rochelle. Ce fut l’occasion d’échanges de lettres, de billets, de pièces et de vers passionnés. A son retour, ils se revirent.
Pendant ce temps, la proposition de la Pologne demandant Monsieur comme souverain tomba à point nommé pour la reine mère. La séparation fut un crève-cœur mais la manœuvre échoua. Toujours grâce à de fidèles connivences, nos amoureux correspondaient.
« Je l’aime tant, vous le savez, vous devez m’avertir de sa fortune, comme je fais. Je n’en dirai plus rien, car les amours sont ivres » écrivait-il de Pologne à un confident.
Après son départ furtif de Pologne et son périple en Italie qui s’en suivit, Henri rentra en France. Son frère, Charles IX étant mort, Henri devenait le roi Henri III. A la grande inquiétude de sa mère, il n’eut de cesse de retrouver Marie. Henri de Condé, impliqué dans la conspiration de La Mole et Coconas au printemps de 1574, ayant fui en Allemagne, Henri envisageait de faire annuler le mariage et d’épouser sa princesse. Au profond soulagement de Catherine de Médicis, le sort en décida autrement.
Restée seule à Paris, Marie, par une journée d’automne accoucha des œuvres de son époux et mourut peu après. Le duc de Nevers, témoin de ses derniers instants, écrivit à sa femme qu'elle était morte dans des sentiments de grande piété. Le cardinal de Bourbon fit inhumer sa nièce en l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Restait à annoncer la nouvelle à Henri qui était à Lyon.
Catherine, n’ayant pas le courage d’affronter les réactions de son fils, se contenta de mêler la terrible nouvelle au courrier à signer par le roi qui, à sa lecture, en tomba évanoui. Il resta trois jours abattu dans son lit en proie à une violente fièvre. Lorsqu’il reparut en public, Henri avait fait coudre de petites têtes de mort à ses vêtements et exigea que toute la Cour portât le deuil !
Que lui importait les railleries dont il était l’objet. Très préoccupée par la peine insurmontable de son fils, Catherine s’en ouvrit à Gilles de Souvré, ami et maître de la garde-robe du roi. : « N’aurait-il pas sur lui, lui demanda-t-elle, quelque objet ayant appartenu à Marie et qui lui en rappellerait le souvenir ? – En effet, lui avoua-t-il, je lui ai vu une croix au cou et des pendants qui lui viennent d’elle. – Eh bien, conclut-elle, faites en sorte qu’il ne les porte plus ».
De retour à Paris, Henri refusa un jour de se rendre à un festin à l’abbaye. Alors, pour lui épargner le sujet d’un chagrin tenace, le corps de Marie prit le chemin de Nevers où elle fut inhumée dans la chapelle familiale des Clèves.
Dans son Journal, Michel de l’Estoile écrivit : « Le samedi 30 dudit mois d’octobre, dame Marie de Clèves…douée d’une singulière bonté et beauté, à raison de laquelle le roi l’aimait éperdument, et si fort, qu’il fallut que le cardinal de Bourbon, son oncle, pour festoyer le roi, la fit ôter de son abbaye de Saint-Germain-des-Prés, disant sa Majesté qu’il n’était possible qu’elle y entrât, tant que son corps y était, mourut à Paris, en sa première couche et en la fleur de son âge »
Henri garda cette plaie secrète et mit du temps avant de porter son choix sur Louise de Lorraine qui, dit-on, ressemblait à sa chère disparue.
En 1597, le couvent des Cordeliers, fondé par Yolande de Bourgogne entre 1270 et 1280, fut occupé par les Récollets. Plusieurs caveaux de la maison de Clèves abritaient les sépultures de membres de cette famille dont on retrouve la trace grâce aux épitaphes de la collection Gaignières parmi lesquelles, celles d’Engelbert de Clèves (1462-1506), de sa femme Charlotte de Bourbon, de leur fils Charles de Clèves et de sa femme Marie d’Albret et de leur second fils Louis de Clèves et celui de notre Marie de Clèves.
La Révolution passa sur les Clèves comme sur tant d’autres. Le clocher des Récollets fut abattu en 1793 et les bâtiments vendus en 1796 ; l’église fut détruite peu de temps après ainsi que sa sépulture.
Le n° 30 de la rue des Récollets affiche aujourd’hui de quelques maigres vestiges : le portail d’entrée sur cour 18ème siècle, des ruines des bâtiments claustraux avec arcades bouchées du cloitre et du chevet de l’église.
Les sépultures des Clèves furent saccagées et dispersées.
La fille de Marie, Catherine, dite Mlle de Bourbon et marquise d’Isle (1574-1596), « sourde, bègue et bossue » eut beau compenser ses handicaps par de belles qualités d’esprit et beaucoup de religion, n’en mourut pas moins célibataire et certainement elle aussi dans la froideur de la solitude. Un simple serviteur s’occupa de son enterrement à Saint-Germain-des-Prés après qu’elle eût reposé en l’église des Filles-Dieu à Paris où resta son cœur.
Cent-quatre ans plus tard, en écrivant La Princesse de Clèves, Mme de La Fayette rendait éternelle cette émouvante histoire d’amour. Et qu’importe que cela ne soit pas dans le plus grand respect de la vérité historique. Depuis, le personnage est devenu un véritable mythe.