Avec pour mentor Valtesse de la Bigne, qui en fit un chef-d’œuvre libertin, puis parrainée par Charles Desteuque, après des débuts difficiles dans des pensions minables, elle grimpa les échelons et, à vingt ans, sa liste de protecteurs ne cessait de gonfler jusqu’à rafler les plus gros lots possibles y compris de la noblesse d’Europe. Couverte de bijoux, riche, n’oubliant pas de ponctuer son existence de quelques tentatives de suicides aussi médiatiques qu’inoffensives largement approuvées par la presse : « qu’elle se suicide quelque fois, c’est bien » put-on lire en 1897, la Belle Epoque fit de la divine hétaïre sa reine, et tous de se passionner pour le moindre de ses faits et gestes.
Scandaleuse avec les hommes mais aussi avec les femmes, elle affichait sans retenue sa bisexualité notamment avec Nathalie Barney, son grand amour, son « grand péché » jusqu’à sa rencontre, en 1908, avec Georges Ghika, un prince roumain de quinze ans son cadet. Elle l’épousa en 1910 et la courtisane devint princesse.
Dorénavant protégée contre la lamentable chute inhérente à son activité, elle se rangea confortablement dans le charme bourgeois d’une existence tranquille d’épouse modèle et gagna un à un ses galons de respectabilité.
Artiste polyvalente, elle écrivit plusieurs romans semi ou totalement autobiographiques dont Mes Cahiers bleus à la plume vitriolée. Mais l’ennui la prit de nouveau avec son lot de désillusions. Son fils, pilote, mourut au début de la guerre, puis son mari l’abandonna un temps pour une femme plus jeune avant de revenir vers elle. Désabusé par la vie, le couple Ghika se maintint comme il put jusqu’au décès de Georges (1945).
En 1928, elle avait rencontré la mère supérieure de l’asile d’aliénés Sainte-Agnès à Saint-Martin-le-Vinoux. Sa foi, qui ne l’avait jamais quittée, en fut ravivée. Veuve, elle fit ses adieux à la vie terrestre, vendit tous ses bijoux et s’enferma dans le dévouement sacrificiel et la pénitence dans un couvent suisse de dominicaines, sous le nom Anne-Marie-Madeleine de la Pénitence. Courtisane, princesse et sainte, quel destin !
A sa mort, comme elle l’avait souhaitée, elle fut inhumée dans la tombe de la communauté religieuse Sainte-Agnès au cimetière de Saint-Martin -le-Vinoux.