Où l'on exhume la loi salique...
Fils aîné de Philippe IV, surnommé le Hutin à cause de son caractère colérique et querelleur, il était loin d’avoir le tempérament politique adapté que la situation exigeait. Brouillon, médiocre et incompétent, dépassé par sa tâche, il se déchargea du pouvoir sur son oncle Charles de Valois, dont les turbulentes ambitions, longtemps tournées vers la recherche d'un trône, allaient enfin trouver à s'employer. Il se mit à la tête des ligues nobiliaires qui regroupaient l'aristocratie mise au pas par Philippe IV et bien décidée à reprendre leurs prérogatives qui leur avaient été retirées.
Ne pouvant briser la résistance de la noblesse prête à tout pour récupérer ses privilèges, il choisit de négocier : il leur octroya des chartes qui reconnaissaient leurs droits dans les différentes provinces du royaume.
La réaction triomphait. Les ligues semaient le désordre dans les provinces et tenaient en échec l'autorité royale. Les grands seigneurs fabriquaient leur propre monnaie qu'ils faisaient circuler pour leur profit personnel privant le Trésor de revenus. Les caisses étaient vides et pour y palier, Louis X, prenant exemple sur les méthodes de son prédécesseur, n’hésita pas à recourir à de nouveaux impôts, de nouvelles spoliations des marchands lombards et des banquiers juifs.
L'administration, cesant d'être contrôlée, pillait pour son compte.
Quant à la population, elle était écrasée par les impôts et la famine provoquée par un hiver patriculièrement rigoureux. Mais Louis restait obsédé par la réparation de son honneur conjugal et d'effacer, si possible, le scandale de la tour de Nesles dont sa femme, Marguerite de Bourgogne, et ses belles-soeurs avaient été l'objet. De surcroît, les deux années de règne de Louis X se conclurent par un enlisement pitoyable de son armée en Flandre.
Tout ce dont son père avait doté le royaume par une poigne de fer semblait voué à l'oubli.
Louis X mourut à Vincennes d’un refroidissement dont il fut victime pour s’être rafraichi avec de l’eau glacée après une partie de jeu de paume.
Sa dépouille fut portée à Notre-Dame et deux jours plus tard, était inhumée en la basilique Saint-Denis. On ne pouvait faire plus expéditif malgré la pompe. Il fut déposé dans un sarcophage en pierre en forme d'auge qu'on entoura d'une arcature. Le dais, au-dessus du gisant proviendrait de la Sainte-Chapelle.
Lorsqu'en octobre 1793, sa sépulture fut profanée, on y retrouva des os désséchés avec un reste de sceptre et de couronne de cuivre rongé par la rouille.
Ses restes furent jetés dans une fosse commune avant de trouver place dans l’ossuaire de la basilique en 1817.
Protégé au Musée des Mounuments français, le gisant a miraculeusement conservé son dais d'époque. Postérieur aux statues que de Louis IX fit refaire, son gisant laisse apparaître un contraste frappant dans la subtilité du drapé et du visage, que l'artiste n'a pas chercher à embellir, qu'on ne retrouve pas dans le style plus uniforme voulue par saint Louis. Enfin, de nombreux fragments de l'arcature du tombeau sont conservés au Louvre.
Mais, outre cette rébellion des barons, la grande affaire de sa vie et de son bref règne furent ses déboires conjugaux et leurs conséquences : une vraie crise dynastique.
Pour la première fois, depuis 329 ans, un roi mourait sans héritier mâle auquel la couronne pût être dévolue. C'était le glas du « miracle capétien ».
Marié à Marguerite de Bourgogne après que celle-ci eut été convaincue d’adultère, emprisonnée et morte de façon très opportune, il épousa Clémence de Hongrie en secondes noces.
De son premier mariage, était née Jeanne de Navarre dont la naissance, au regard des écarts de conduite de la mère, parut soudainement entachée d’une éventuelle bâtardise.
Quant au fruit de son second mariage avec Clémence de Hongrie, il fallait attendre cinq mois pour en connaitre le sexe.
Petit rappel:
On oublie généralement le caractère primitivement électif de la monarchie capétienne qui précéda son caractère héréditaire, ou tout au moins coexista avec lui.
A la mort accidentelle du dernier carolingien, Louis V, Hugues Capet, duc de France et fils naturel d’Hugues le Grand, fut désigné par élection. Hugues Capet associa immédiatement son fils au trône en le faisant élire comme successeur et sacrer dans l’année même de son propre sacre. Il en fut ainsi durant les règnes suivants. Aussitôt le fils aîné du roi désigné comme héritier présomptif, les pairs avaient à ratifier ce choix. Ce fut Philippe Auguste qui renonça le premier à la tradition de l’élection préalable. N’accordant que peu d’estime aux aptitudes de son fils, il ne l’associa pas au gouvernement. Louis VIII recueillit la couronne de France à la mort de son père comme il eût recueilli un fief. C’était le 14 juillet 1223. Et ce fut ce 14 juillet là que la monarchie française devint véritablement héréditaire.
En attendant la naissance de l’enfant de Clémence de Hongrie, on palia à la disparition prématurée du roi. Philippe de Poitiers, futur Philippe V, se vit confier la régence. Clémence accoucha d’un fils, Jean Ier qui ne vécut que cinq jours. Pour le régent, l’opportunité de se saisir du pouvoir était trop belle. Mais il restait un problème à régler, la petite Jeanne. Il fallait trouver quelque chose qui puisse asseoir sans contestation la légitimité de Philippe sur le trône. Et les légistes cherchèrent et les légistes trouvèrent ! On exhuma le vieux code de coutumes des Francs Saliens datant à peu près de Clovis Ier. Réinterprétant un article sur l’héritage des femmes sur lequel ils appuyèrent leur démonstration fumeuse, les docteurs en droit venaient d’exclure définitivement les femmes de la couronne de France pour ne pas que le royaume "ne tombe de lance en quenouille" : la fameuse Loi salique qui fit fortune dans l’histoire après avoir ruiné la France en contribuant à la guerre de Cent Ans ! Car par cette loi, Isabelle de France, fille de Philippe IV et mariée à Edouard II d'Angleterre, fut exclue de la succession après les morts successives de ses frères et par voie de conséquence son fils, Edouard III, aussi. Ce que ce dernier n'admit pas... Oui, en vérité, l’adultère de Marguerite de Bourgogne allait coûter très cher au royaume.
Jeanne fut donc exclue de ses droits à la couronne, Philippe de Poitiers devint roi à la grande satisfaction de sa belle-mère, Mahaut d'Artois, qui voyait déjà trancher en sa faveur sa guerre avec Robert d'Artois, et la noblesse pouvait se réjouir de ne pas avoir à obéir à une femme…
Quant à Jean Ier, il fut inhumé aux pieds de son père.
Le tombeau de Louis X fut réalisé à l'nitiative de son frère, Charles IV, en 1327, soit onze ans après sa mort. Le visage du gisant, conventionnel dans son voulume étalé en largeur, sa régularité et son sourire figé. Mais son profil aigu, aux lignes cocasses, possède un accent de vérité incontestable. On ne peut exclure un document graphique comme origine de cette évocation.