Le pénible rapatriement auprès des familles, la mise en place des carrés militaires dans les cimetières communaux et des nécropoles nationales
Devant l’ampleur jamais égalée de ces massacres, les politiques se rendirent à l’évidence : des cimetières nationaux devaient accueillir ces soldats morts pour la France. La communauté nationale se substituait à la famille et la solidarité de ceux qui avait combattu ensemble primait sur celle des familles.
Les choses ne se firent pas sans heurt. Si beaucoup de civils partageaient l’initiative de l’Etat, d’autres se révoltèrent invoquant le droit aux soldats de « redevenir des civils » et, refusant « ces casernes éternelles », demandaient d’avoir le choix entre le cimetière civil et le cimetière militaire. Il s’agissait de ne plus penser collectivement mais faire exister le citoyen individuel. Louis Barthou, alors député des Basses-Pyrénées, voulait inhumer son fils, mort dans les premiers jours de 1914, dans la sépulture familiale du Père-Lachaise. Paul Doumer, qui avait perdu quatre fils, dont un en 1923 des suites des gazages, tenta vainement de le persuader du contraire. Chacun avec ses arguments poignants, les deux camps s’affrontèrent et les débats sur la privatisation ou la nationalisation des tombes se prolongèrent.
Intermédiaires sans scrupule : corps incomplets ou mélangés…
En attendant, afin de réduire les erreurs d’identification et le nombre des disparus, tout transport de corps fut interdit. Mais, trop meurtries par des pertes de parfois plusieurs fils, et lasses d’attendre, des familles organisèrent des exhumations sauvages dans les cimetières provisoires.
Toutes ces tragédies favorisèrent la création d’intermédiaires douteux qui, moyennant larges finances, se chargèrent de l’exhumation et du rapatriement des corps de façon illicite. A l’absence de compétence, leur manque de scrupules, motivé par un appétit du gain sans limite, dépassa l'imaginable : exhumées en général rapidement et sans trop de précautions en pleine nuit, les dépouilles n'étaient parfois pas complètes. Qu'importe ! Les familles voulaient un corps, tant pis si ce n'était pas le bon ou si les restes étaient mélangés avec celui du voisin pour en livrer un complet ! Comble du cynisme, il arriva que les moins scrupuleux des entrepreneurs ou de leurs hommes de main ajoutent du sable dans les cercueils pour faire le poids.
Ne pouvant tolérer davantage la situation, le gouvernement ouvrit le droit à la restitution des corps aux frais de l’Etat le 31 juillet 1920. Ce qui n’empêcha pas les intermédiaires de continuer, jusqu’à l’année suivante, de profiter du désespoir des familles.
Les bières étaient fournies par l’Etat. Par souci d’égalité devant la mort mais aussi en vue de ne pas augmenter les dépenses, elles étaient très simples, identiques et dépourvues de toute ornementation. A la charge des familles de fournir des cercueils autres que le modèle imposé qui devaient impérativement être sur place au moment de l’exhumation, sinon c’était l’ordinaire. Mais de nombreuses familles ne reçurent pas l’avis d’exhumation en temps voulu : un nouveau drame.
La malfaçon des cercueils
Autre problème, celui de la malfaçon des cercueils qui ne résultait pas uniquement de la mauvaise volonté des entrepreneurs désireux de réaliser des bénéfices en rognant sur la qualité de la marchandise. Elle était aussi le reflet de la mauvaise qualité des matériaux. Fabriqués rapidement en grand nombre et dans l’urgence, les stocks de bois n’avaient pas le temps de sécher. Entreposés dans des gares de triage et des dépositoires, exposés à des températures variables, ils se déformaient et les fonds pouvaient se briser après quelques manipulations, laissant le corps au sol.
C’est en bonne partie ces évènements, ainsi que l’installation des monuments aux morts, qui inspirèrent à Pierre Lemaitre son magnifique roman Au revoir là-haut (2013) porté à l’écran par Albert Dupontel (2017).